top of page

Ecriture

 Gacilly.jpg

L'écriture a toujours jalonné mon parcours professionnel : notes sur le travail, impressions de tournée, anecdotes recueillies pendant les créations de spectacles. Par ailleurs, j'ai toujours écrit pour mes élèves les plus jeunes. Je les fais parler sur le thème du spectacle, sur ce que ça évoque pour eux. Je collecte leurs paroles et j'écris des scènes que j'intègre au spectacle que nous montons. Je n'ai jamais vraiment considéré ça comme de l'écriture, la finalité étant le spectacle. Ce qui a vraiment été déclencheur et a fait que je commence à écrire avec la conscience de le faire, c'est un MOOC ( Massive Open Online Course) de l'université de l'Iowa, intitulé Creative Writing. Les cours, en ligne, menés par des écrivains étaient de très grande qualité. J'y ai rencontré et j'ai pu échanger avec des écrivants de plusieurs pays. Chaque cours était suivi de consignes d'écriture et le forum permettait d'échanger autour de ces travaux.

Depuis, j'écris, tout le temps, du théâtre, des nouvelles, des billets d'humeur et j'ai deux projets de roman en cours. Ci-dessous chaque onglet vous donne accès à des extraits de mon travail. Les pièces de théâtre, nouvelles et romans sont déposées à la SACD mais vous pouvez me contacter si les pièces vous intéressent.

Théâtre 

Le dragon dans le verre en cristal, théâtre, extraits Le dragon dans le verre en cristal Elle, rebelle. Lui, propre sur lui. Ils attendent. Chaque semaine ils attendent, lui, son père, elle, sa mère. Deux parents en perdition qui dérivent sur le radeau d'un groupe de parole pour décrocher de l'alcool. Pendant ce temps, dans le couloir salle d'attente, Elle et Lui se racontent, se confrontent et finissent par s'apprivoiser. Personnages Lui  Elle  Scène 1 Un couloir avec des chaises. Derrière eux, un mur couvert de dessins d'enfants avec une porte au centre. Elle a les cheveux rasés dans la nuque et une grande mèche rouge. A chaque scène la mèche change de couleur. Elle porte un casque audio et chante en dansant « Pull marine » d'Isabelle Adjani, assez fort et faux. J'ai touché le fond de la piscine  Dans le Petit pull marine  Tout déchiré aux coudes  Qu'j'ai pas voulu recoudre  Que tu m'avais donné  J'me sens tellement abandonnée  Y'a pas qu'au fond de la piscine  Que mes yeux sont bleu marine  Tu les avais repérés  Sans qu'il y ait un regard  Et t'avais rappliqué  Maintenant je paie l'effet retard  Avant de toucher le fond  Je descend à reculons  Lui, entre. Il l'écoute un moment avant de parler. Lui : Salut. Elle ne l'entend pas. Lui, plus fort : Salut ! Elle sursaute, vexée qu'on l'ai entendue chanter. Elle : Non mais ça ne va pas de faire peur aux gens comme ça ! T'es moitié psycho où quoi ! Lui : Juste poli. Elle : Monseigneur... Un temps, ils s'observent. Lui : C'était quoi ? Elle : … Lui : La chanson ? Elle : C'était faux. Je chante faux. Lui : Ça ne me dit pas ce que c'était. Elle : Rien, un truc familial. Du siècle dernier. Lui : … ? Elle : Le petit pull marine. Adjani. Lui : Sympa. Elle : … Lui : Les paroles... ! Sympas ! Elle : … ? Lui : Nostalgiques mais sympas. Elle : T'essaies de me draguer ou quoi ! Lui : J'essaie juste d'être poli, excuse moi... Un temps, il a pris un livre. Elle l'observe. Elle : Je suis désolée, je suis un peu nerveuse aujourd'hui. Enfin, en ce moment. Enfin en général. Lui : … Elle : Faut que j'y aille. Salut Scène 5, extrait : … Lui : Qui mériterait peut-être quelques nuances... Elle : C'est pas mon truc les nuances, t'as du remarquer. Donc, pour en revenir à ma mère, elle a continué à fréquenter Clément, qui faisait son école de potier en province. Il montait la voir régulièrement dans sa petite chambre de bonne sur la butte aux cailles. Romantique tout plein. Seulement quand il repartait, elle devait rattraper le retard. Compliqué dans ce genre d'études où tu n'as jamais assez de temps et où tu échoues si tu dors plus de cinq heures par nuit. Alors elle a fait comme les autres, elle a pris des petites pilules. Tu sais ces petits bonbons qui te font pétiller les neurones. Tu pétilles, tu pétilles et paf, tu craques. Lui : Je connais. Il y en a même qui en mangent tellement qu'ils claquent. Elle : Les faibles. Ma mère, elle tenait. Jusqu'au jour où elle s'est rendu compte qu'elle était enceinte. C'était moi. Son Clément quand il a appris ça, ni une ni deux, il a pris ses jambes à son cou et ses couilles en bandoulière et elle ne l'a plus jamais revu. Lui : Tu ne connais pas ton père ? Elle : Non merci, je n'y tiens pas. Alors ma mère avec les horaires infernaux, le boulot de dingue qui continuait à pleuvoir, les cachets et les hormones, elle a finit par exploser en vol. Ça a fait un vrai feu d'artifice dans sa tête, avec prise de la Bastille et « ça ira, ça ira, les aristocrates on les pendra ». Ça s'appelle une bouffée délirante. Sauf que là, c'était pas une bouffée, c'était un sirocco, un mistral qui a duré jusqu'à mes cinq ans. Fini les études. Lui : Et toi au milieu de tout ça ? Elle : J'ai été placée chez mes grands parents. Lui : Ma pauvre. Elle : Ça allait, ils étaient chouettes avec moi, j'ai plein de bons souvenirs. Ce qui était plus difficile, c'était ma mère. Je ne comprenais pas bien qui elle était. Elle alternait entre un semblant de vie normale dans son studio et les séjours dans les C.H.S. Lui : C.H.S ? Elle : H.P, asiles. Ça fait moins désordre de dire C.H.S. C'est moche la folie alors on essaie de la cacher derrière des sigles. Arrête de me couper, je pers le fil. Lui : Fifille ! Elle : Ta gueule ! Donc parfois je la voyais quelques minutes, parfois on me laissait passer une nuit ou deux chez elle. C'était « Maman », mais c'était très abstrait pour moi. Quelque chose que je n'arrive toujours pas à décrire. Par contre j'ai des souvenirs très précis. Mon petit lit dans son petit chez elle, par exemple. Il y avait un mobile au dessus de l'oreiller avec des petits légumes en pâte à sel de couleurs vives qu'elle avait fabriqué. Le soir on avait un rituel mignon. «  Dis bonsoir à la petite aubergine ». « Bonsoir la petite aubergine ». « Dis bonsoir à la grosse tomate ». « Bonsoir la grosse tomate » . « Oh ! Non, on a oublié le poivron. Il va être jaloux, pauvre petit poivron ». Tout était petit, la petite maison de la petite fille à sa petite maman. Et puis, ça a été mieux, elle a retrouvé du travail. Elle décorait les vitrines d'un fleuriste dans le cinquième. ... Scène 7, extraits : Elle est assise avec son portable, mèche bleue lapis lazuli. Il arrive, elle ne lève pas le nez. Lui : Tu fais la gueule ? Elle : Si on te demande tu diras que tu ne sais pas. Temps Lui : Je ne comprends pas trop, tu as quand même mis Bleu comme signal aujourd'hui ! Elle le regarde interloquée. Lui : Ta mèche , elle est bleue. Les couleurs, ça ne correspond pas à ton humeur ? Elle : Ça correspond aux chakras, Ducon. Lui : … Elle : Les chakras ! Les centres d'énergie du corps, les cercles sacrés spirituels de l'individu. Tu ne connais pas ? Lui : ... Elle : Ça vient de l'hindouisme et du yoga. On les retrouve dans le bouddhisme. Lui : … Elle : Je pars de celui du bas, le rouge et chaque semaine je change de couleur. Quand j'arrive à celui du haut, le violet, je recommence avec celui du bas. Lui : … ? Elle : Celui du bas ! Le rouge ! Faut suivre ! Lui : Excuse-moi, je ne connais pas tout ça. Je ne comprends pas trop. C'est sensé faire quoi ? Elle : C'est pour l'équilibre, la ré-harmonisation. Parfois si je sens que j'ai besoin, je garde la même couleur une semaine de plus. Parfois, si ça déconne dans ma vie, je ne respecte pas l'ordre. Lui : Et ça harmonise quoi ? Elle : Ben dis donc, Moncon, t'es long à la comprenette. Lui : Est-ce que tu pourrais juste arrêter de m'appeler Ducon ou Moncon. … Scène 9, extraits : … Quand il arrive, mèche violette, elle regarde les dessins d'enfants. Elle : C'est marrant, tous ces dessins. Si tu les regardes sans penser que ce sont des gosses d'alcooliques qui les ont dessinés, ils sont sympas. Lui : Attention, je sens une drôle de façon pas très politiquement correcte se profiler à l'horizon ! Elle : Ben quoi c'est vrai ! Ils sont bourrés des belles couleurs. Il y en a des gores, surtout les noirs et blancs, mais les autres ils sont chouettes. Il en a qui ont des styles marrants et très personnels. Il y a des mangas aussi. Ensemble avec un regard entendu : Mais... Elle : Mais... si tu replaces ça dans le contexte et que tu essaies de lire entre les dessins, c'est carrément flippant. Grave... Ça me donne la gerbe, même. Lui : Tu as trop d'imagination, Fifille, ça te perdra. Elle : Parce que toi, quand tu regardes ce dessin avec le bonhomme en short rouge et la dame en robe verte qui portent des gants de boxe entourés de cœurs et de petites bouteilles de toutes les couleurs qui flottent autours d'eux, tu ne trouve pas ça glauque peut-être ?! Lui : Si et c'est pour ça que je ne les regarde jamais. Parle-moi du comandant. Elle : … ? Lui : Le comandant de ta mère. T'avais pas fini l'histoire. Elle : Ah oui ! Tu es sûr que tu veux la suite? C'est long. Lui : On a le temps. ...

Le Trait, ou pourquoi on ne peux pas laisser son pays se faire découper en plusieurs morceaux. Texte de théâtre Ado Note d'intention : Ça pourrait être ici et c'est peut-être ailleurs. Un endroit calme où la vie va. Des ouvriers arrivent et prennent des mesures, s'en vont, et quand ils reviennent, ils tracent un trait. Trait protégé par des gardes, gardes envoyés par « là-haut ». Les villageois ne peuvent plus circuler. Ils transgressent et vont demander des explications « là-haut », au palais du grand décideur. Ils errent dans les dédales, s'adressent aux différents bureaux. Ils essaient d'obtenir une réponse à la question : « pourquoi vouloir couper notre pays en deux ? » Une secrétaire plus humaine que les murs glacials du palais cherchera à les éclairer en questionnant le tyran. Cette pièce chorale est une fable sur l'abus de pouvoir. Les personnages : Certains personnages sont précis, ont un caractère défini : la secrétaire, le grand décideur, les responsables des différents bureaux, les traceurs. Les gardes, les villageois et les statisticiens ont été créés pour pouvoir être répartis entre plusieurs personnes dans le cas d'une distribution plus nombreuse. Distribution : Les villageois : BEN LUIGI ZINA LIZA PIETRO TINO LEILA Les traceurs : LE TRACEUR QUI A EU SON BTS LE TRACEUR ANCIEN PROF LE SOUS CHEF LIGNE DROITE LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS GARDE 1 GARDE 2 GARDE 3 GARDE 4 SECRETAIRE DU GRAND DECIDEUR, HÉLOÏSE RESPONSABLE AUX ÉCRITURES DU CODE RESPONSABLE AU SERVICE DES LOIS RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION STATISTICIEN 1 STATISTICIEN 2 STATISTICIEN 3 STATISTICIEN 4 LE GRAND DÉCIDEUR Au début de la pièce un écran avec des photos ou des vidéos du grand décideur accompagnées de phrase du type : « LE GRAND DÉCIDEUR vous souhaite une bonne journée. » « Je suis là pour vous, et vous, où êtes-vous? » « Avez-vous pensé à manger des produits cultivés par nos paysans aujourd'hui ? » « N'oubliez pas d'acheter car nos usines produisent pour vous. » « LE GRAND DÉCIDEUR vous souhaite une nuit sereine »... Ces photos, vidéos et phrases peuvent réapparaissent durant la pièce, au moment où le grand décideur fait son discours par exemple. Scène 1 : Nous sommes au centre d'un village. Des gens vaquent à leurs occupations. Une personne avec une panière : Beaux petits pains, qui veut de mes petits pains chauds ! Pendant ces déambulations et passages, les traceurs arrivent, et, au milieu des gens qui circulent, se mettent à prendre des mesures. Au début les villageois ne les repèrent pas, mais au bout d'un moment ils sont intrigués. Certains villageois s'arrêtent, certains posent des questions. BEN : Vous faites quoi là ?... LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Une étude. BEN : Avec des équerres ? LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Une étude sur le terrain . LE TRACEUR ANCIEN PROF : De terrain, on dit de terrain ! LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Ah bon ! Et bien si c'est ça qu'on dit, t'as qu'à le dire toi même !!! LE TRACEUR ANCIEN PROF : C'est ce que je viens de faire. Je viens de le dire ! LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Alors tout va bien ! ZINA : Pourquoi vous faites une étude ? BEN : Notre terrain on le connaît, pas besoin de l'étudier. PIETRO : C'est vrai, vous allez à la mairie et vous le verrez sur le cadastre ! LUIGI : Qui est-ce qui vous envoie ? LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Le ministère. LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Ne vous inquiétez pas, de toute façon on a fini pour aujourd'hui. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : On s'en va dans quelques minutes ! Ils récupèrent leurs instruments et sortent. La vie reprend alors son cours, les gens recommencent à passer de cour à jardin et de jardin à cour . … PIETRO : Vous avez peut-être raison, c'est jamais une bonne nouvelle quand quelqu'un vient prendre des mesures sur le terrain. PIETRO : Surtout qu'ils n'ont rien voulu dire. LUIGI : C'est vrai ! Pas ça ! LISA : En même temps, ils n'étaient pas méchants ! LUIGI : Mais pas très causants non plus! Pas un mot du projet. BEN : Qu'est-ce qu'ils sont en train de nous préparer.  ZINA : Une autoroute ! BEN  : Où une centrale nucléaire. C'est possible, une centrale nucléaire ... LISA : Ne dramatisez pas trop quand même. On verra bien. LUIGI : Quand on verra il sera trop tard pour agir ! LISA : Vous êtes drôle, agir... Et pour faire quoi ? BEN : Liza a raison, ça ne sert à rien de s'inquiéter, il faut rentrer, la nuit ne va pas tarder à arriver. A la fin la lumière baisse. Scène 3, extraits : Très chorégraphiée. Les traceurs prennent des mesures, ils ont des outils et ils ont aussi des lampes de poche. C'est une espèce de ballet de lumière. A la fin les quatre traceurs disent : LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Bon, je pense qu'on a fini, on va pouvoir y aller. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : On a eu raison de revenir cette nuit, on est quand même plus tranquilles . LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est normal, la nuit, tous les chats sont gris. LE TRACEUR ANCIEN PROF : Et puis nous avons été très efficaces, trois heures pile, montre en main. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est normal, la nuit porte conseil ! LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : C'était important de terminer les mesures, comme ça, demain, nous pourrons tracer. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : La nuit va être courte ! LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Nous devons terminer le travail rapidement, ordres d'en haut. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Oh, alors... Si ça vient d'en haut ! LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Bon c'est fini les pipelettes, on peut aller dormir une heure ou deux avant que le chant du coq n'éveille les bruyères ? Le traceur ancien prof : La nuit te rend poète, dis donc ! … Scène 4, extraits : … TINO : Pourquoi vous tracez ce trait ? LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est pour délimiter l'Est et l'Ouest . LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : A partir de maintenant, vous n'allez plus pouvoir franchir cette limite. BEN : Une limite et en quel honneur ? Comment on fera, nous, maintenant pour aller de l'autre côté ? LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Écoutez ! Ça, c'est pas notre problème. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Nous, on y peut rien. LE TRACEUR ANCIEN PROF : On obéit juste aux ordres. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : On nous a demandé de faire un trait, on fait un trait. ZINA : On en a vu d'autres dans l'histoire, à qui on a donné des ordres et qui ont obéis sans réfléchir. LEILA : Certains s'en sont mordus les doigts. LE TRACEUR ANCIEN PROF : Pas tous ! BEN : Ça ne vous questionne pas, de devoir faire ce trait ! LISA : Avez-vous réfléchi aux conséquences pour nous ? LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Et bien si, figurez-vous, on en discute depuis qu'on a été embauchés. LE TRACEUR ANCIEN PROF : Depuis qu'ils ont créé le ministère du trait. LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : On s'est quand même posé quelques questions, qu'est-ce que vous croyez ! LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : C'est normal. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est humain. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Mais on en est arrivé à la conclusion qu'il faut bien qu'on gagne notre vie. LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : C'est malheureux, je vous l'accorde, mais... LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Chacun voit midi à sa porte !  LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Ecoutez, je ne devrais pas vous dire ça, mais moi, je vais vous donner un conseil. Vous devriez aller poser vos questions directement au grand décideur. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Bien vu, il vaut mieux s'adresser au bon dieu qu'à ses saints. BEN : Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... LEILA : C'est vous qui faites une belle bande de saints, tiens !... LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Nous ce qu'on en dit ! LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : C'est juste un conseil. Tant qu'il est encore temps, allez-y. Les traceurs sortent, des villageois se positionnent de chaque coté de la frontière et se regardent. Scène 5, extraits : Deux villageois arrivent pour effacer le trait avec une serpillière mais des gardes apparaissent immédiatement. GARDE 1 : Dites donc vous, vous croyez qu'on ne vous a pas vu ? LUIGI : Vu quoi ? GARDE 2 : Vous essayez d'effacer ce trait avec votre serpillière. PIETRO : Je ne fais que laver, tous les Lundis on lave ! Alors je lave ! GARDE 1 : Il nous prend pour des idiots, je pense. GARDE 3 : Arrête de penser et sévis ! GARDE 4: A partir d'aujourd'hui ceux de l'Est restent à l' Est et ceux de l'Ouest, à l'Ouest c'est clair ? ! GARDE 1 : Toute transgression sera punie d'amende, puis d'emprisonnement si récidive. LEILA : On aimerait bien savoir pourquoi ! GARDE 4 : Il n'y a pas de pourquoi, c'est comme ça ! LUIGI: Oui mais on aimerait comprendre. PIETRO : C'est vrai, j'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi, aujourd'hui, lundi, je n'aurais pas le droit de passer la serpillère. GARDE 1 : Chef, il nous prend encore pour des idiots ! GARDE 3 : C'est nouveau ça ! On doit expliquer les décisions de ceux qui nous gouvernent maintenant. Ecoute moi bien, tu prends ta serpillère et tu disparais. GARDE 4 : Et estime toi content qu'on ne te boucle pas. … scène , extraits : Déambulation, ils arrivent et s'adressent à un-e deuxième responsable : LEÏLA : Bonjour madame, nous sommes bien au bureau des espaces de circulation ? RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION : Mais absolument que puis-je faire pour vous ? LISA : Nous aimerions savoir pourquoi le grand décideur a voulu couper notre village en deux. RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION : Et bien... Parce que c'est inscrit dans le code j'imagine. PIETRO : Oui, mais la raison qui a amené le grand décideur à prendre cette décision ? TINO : Au tout départ ?  RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION : Nous n'avons pas accès à ce type d'information dans nos services, je suis désolée . Il va falloir que vous vous adressiez au service des lois, premier bureau à gauche. Troisième bureau, troisième responsable : ZINA : Bonjour Monsieur. Alors voilà... Le grand décideur a fait tracer un trait qui sépare notre village en deux, et nous aurions aimé savoir pourquoi. RESPONSABLE DU SERVICE DES LOIS : Parce que vous pensez peut-être que c'est moi qui fait les lois et qui décide de quoi et de qui ! Et bien malheureusement non, autrement j'aurais fait une lois permettant à tous les responsables du grand bureau de prendre leur retraite à trente cinq ans, croyez moi ! Ou quelques semaines de vacances supplémentaires... ZINA : … RESPONSABLE DU SERVICE DES LOIS : Mais ne faites donc pas cette tête, je plaisantais, et mieux vaut plaisanter pour tenir ici, je vous le dit ! Allez... J'ai pitié de vous... Adressez vous donc à Héloise, la secrétaire du grand décideur.

Dans la forêt profonde, Blanche Neige. Extraits. Les personnages : Chronos, travesti en fée ou magicien. Le roi, tout au long de la pièce le roi répare pendules, horloges ou réveils. Chacune de ses entrées est sonorisée par la guimbarde. La reine, elle cuisine et ponctue parfois les choses à coup de hachoir. La reine miroir, le double de la reine. Blanche neige, elle tient de son père un goût inné pour le bricolage. Le chasseur, employé par le roi et la reine, il est passionné de jardin et s'occupe du potager royal. Woolfy le big bad, personnage aux multiples facettes et au lustre surfait. Peut nuire. L'ancien des bois, à la croisée des chemin, il est le veilleur de la forêt. Les nains, sept ou plus, ils habitent au milieu des bois. Le prince, est aussi crapaud bien malgré lui, il est accompagné de bruits de fontaine. Les femmes du château, elles subissent les outrages du temps, certaines seront même métamorphosées en grenouilles. Bruiteur, il est le soutien sonore des lieux et des personnages. Tout au long de la pièce, des ambiances sonores seront crées sur scène. Elles accompagneront les changements de lieux - forêt, fontaine, château - ou l'apparition de certains personnages. Ambiance sonore : Les bruits de la forêt : loup, criquets, oiseaux, vent.... Narrateur  : Il était une fois un château qui dominait une forêt profonde, forêt occidentale que rien ne semblait pouvoir déranger, pas même le temps. Il était une fois Chronos, lassé de ne pas avoir de prise sur les Ondines, les Pixies , et autres Korrigans qui peuplent la forêt... Il était une fois Chronos qui dirigea ses pas vers la muraille. Il entra dans les lieux, salua le miroir, effleura la reine, la petite Blanche, les habitants du château, et par une sombre journée d'Automne, il s'installa en semant le doute et l'incertitude dans son sillage. Scène 1, Chronos Comme son statut de dieu le lui autorise, il a opté pour une métamorphose. Dans le courant de la scène, il sort un habit de fée d'un sac et le met, le résultat peut-être drôle ou inquiétant. Il porte un sablier à la taille. Il restera sous sa forme de fée durant tout le spectacle. Chronos : Les jours raccourcissent. Chaque jour, mes doigts fatigués détricotent les minutes. J'aime le noir de décembre où la nature se repose, où les hommes et les bêtes se ressourcent en attendant l'agitation du printemps. J'aime la fuite des mois et des années. J'ai infiniment aimé les libellules géantes et les fougères colossales des forêts primaires peuplées de volcans déchaînés. J'ai jalousement veillé sur les néandertaliens, les homo sapiens et les peuples premiers. Mais la folie déchaînée que les hommes ont savamment déclinée au fil du temps m'a lassée. J'ai méticuleusement dévoré mes enfants, jusqu'à ce que Zeus m'échappe et me supplante, et aujourd'hui, moi, Chronos, je suis condamné à errer sans autre pouvoir que celui que j'exerce sur le temps. C'est dérisoire, le parcours d'un dieu : le triomphe puis la chute, terriblement banal. Il me reste aujourd'hui le plaisir de la marque que j'imprime sur les choses et les gens. Parmi mes prérogatives de divinité, la métamorphose est ma préférée. Alors ce matin, travesti en fée, je vais trainer mes cothurnes dans ce château, et entrer dans l'intime de l' humain qui s'agite. Ça me divertira et ça fera passer le temps. Ne le dites pas à Zeus, il déteste quand je taquine ses créatures. Il sort. Scène 2 : Le roi, le Chasseur. Blanche Neige est dans la pièce. Elle bricole. Le roi, lui, répare une pendule pendant toute cette scène. Le chasseur entre. Pendant cette scène Chronos, en fée, observe. Par différents effets ( bulles de savons, souffles, sons...) il/elle enveloppe les humains . Il/elle décide quand il/elle souhaite être visible des humains. Dans cette scène il/elle est invisible. Chasseur, entrant : Ah ! J'ai un mal de dos ! Je ne comprends pas ce qui m'arrive, ça m'a pris en bas, sur le parvis. Et pour couronner le tout, bredouille ! Rien de rien, pas même une bécasse ! C'est à croire que le brouillard a happé tout le gibier. Et la reine qui voulait nous mitonner du lapin aux carottes... Roi : J'ai horreur de son lapin aux carottes, je préfère ses cailles aux petits pois. Chasseur : Majesté, avec tout le respect que je vous dois ça n'est pas la saison des petits pois. Il faudrait les faire venir d'Andalousie, ce ne serait pas très, comment dire, très …. Roi: Ah ! Oliver, je vous en prie, épargnez moi vos prêches sur les légumes de saison, allez donc plutôt me chercher des orties, que je me frotte les articulations avec. Moi aussi, je ne sais pas pourquoi, aujourd'hui, j'ai mal partout . Le chasseur sort. Le roi continue à bricoler. Scène 3 : Blanche Neige Blanche Neige : Je suis Blanche comme neige. Transparente, aussi. Depuis l'enfance, je traverse le grand vide des pièces, le regard de la reine accroché dans mon dos. J'efface ma beauté au détour des couloirs et m'amuse à me fondre dans la muraille. Je trompe mon ennui en fabricant des objets que je dépose au grenier, les uns à coté des autres, bien rangés. Quand je m'ennuie trop dans ces murs qui résonnent du silence de mes proches, je sors dans la forêt et parle aux animaux. Je les connais depuis toujours, lors de nos promenades, le chasseur me les a présentés. Parfois, il les tue et la reine les cuisine. Je suis Blanche Neige, la gentille qui sourit. Je suis Blanche Neige, la petite, la douce. Mais depuis quelques temps, le sol semble se dérober. Comme du sable qui coule sous mes pieds. J'ai peur, quelque chose se prépare et j'ai peur. Elle sort, suivie du roi. Ambiance sonore : Au micro, inquiétant, susurré, Miror , miror on the wall who's the fairest of them all ? Miroir, oh miroir, qui est la plus belle de ce royaume ( plusieurs fois en faisant se chevaucher le texte). Scène 4 : Le Miroir, la reine  Le Miroir est une femme. C'est à la fois le reflet de la reine et son double, sa psyché, une autre vision d'elle-même, c'est la Reine miroir. Reine : Miroir ? Qui est la plus belle de ce royaume ? Miroir ! Reine miroir : Belle je suis, belle je resterai! Louée soit ma beauté, qui, irradiant sur cette triste journée d'automne, la rend supportable. Reine, dure : Miroir ! Reine miroir : Divine ! Mes yeux sont si beaux, mes lèvres si rouges, rien ne peut altérer l'éclat … Reine : Répond ! Reine miroir : Mon charme, comme une brise, par la forêt... Reine  : Miroir, réponds ! Reine miroir  : Je nous admire depuis maintenant 40 ans, que puis-je dire d'autre que notre beauté... Reine : Qui ? Réponds ! Qui est la plus belle ? Reine miroir : Nous ne sommes plus les plus belles. L'enfant a grandi ! Reine : Et ?... Reine miroir : Et remplissant toutes les promesses de ses beautés d'enfance, Blanche neige est aujourd'hui la plus belle femme de ce royaume. Nous sommes belles mais nous ne sommes plus les plus belles. Personne n'y peut rien... Nous n'y pouvons rien...Je suis désolée. Elles s'attrapent le visage et se regardent  Ensemble : Laisse moi maintenant. S'il te plaît... Scène 5 : Cinq femmes du château, la reine et son double : la Reine miroir Des femmes du château sont installées autour d'une table. Elles boivent du thé, du champagne ou du vin rouge selon l'humeur que l'on souhaite donner à leurs échanges. Les femmes ne font pas attention aux deux Reines. Chaque reine est dans son monde intérieur, elles sont comme des spectres : présentes mais translucides. En bruitage, au micro quelqu'un chuchote : miroir, oh mon miroir... Pendant la scène Chronos circule entre les personnages. Reine : J'aurais du la perdre dans la forêt quand elle était petite où la déposer devant la porte d'un ogre. Reine miroir : Elle était tout bébé, si jolie avec son teint de nacre. Solitaire déjà, dès l'enfance. J'aurais du m'en méfier, la détester. Je voyais bien sa beauté insupportable. Mais c'était plus fort que moi, je lui racontais des histoires. Reine: J'aurais pu mille fois la faire dévorer par les loups, mais j'étais si sûre de ma beauté... Ça aurait été si simple pourtant ! Nous serions parties dans les bois toutes les deux, sa petite main dans la mienne….. Reine miroir : Je lui racontais les arbres et les plantes. Je lui apprenais les philtres occultes. Reine: Ensuite, j'aurais lâché sa petite main, j'aurais souri à son insupportable beauté et je lui aurais dit de suivre jusqu'au bout, le chemin des cailloux blancs qui ne mènent à rien... Femme 1 : Je m’étiole. Je m'en suis rendu compte ce matin au réveil, je ne me l'explique pas. Toute étiolée j'étais, et toute étiolée me voici. Femme 2 : Il y a des jours, comme ça, où on se lève du mauvais pied. Un excès d'humeur peut-être. Femme 3 : Moi, quand je suis passée devant le miroir ce matin, ça m'a fait sursauté. Je n'avais jamais réalisé que j'avais autant de rides. J'ai dû prendre appui sur le mur pour ne pas perdre pied. C'était comme le tourbillon dans lequel on tombe, parfois, quand on s'endort le soir. Femme 4 : Vous devriez faire des masques de beauté. J'en fait parfois pour passer le temps, la recette du chasseur. Entièrement naturelle avec des produits du potager royal. Il faut mettre des orties pour assouplir, du miel pour réparer, un peu d'avoine fraîche et un jaune d’œuf pour lier le tout. Une fois tout ça bien écrasé au pilon, il faut laisser poser une demi- heure. Femme 2 : Il vaut mieux éviter de croiser quelqu'un avec tout ce monde sur le visage. Elles rient Femme 5 : elle arrache ses cheveux depuis le début de la scène : Est-ce qu'on peut aussi l'utiliser contre les cheveux blancs ? Ces cheveux blancs ! Depuis ce matin ils poussent comme ceux d'une gorgone, j'ai beau les arracher je n'y arrive plus. Elle attrape tous ses cheveux et tire dessus. Femme 2 : Mes sœurs, calmez-vous. Tout ceci devait arriver ! Il s'est écoulé tellement de lunes depuis notre dernier sabbat. Nos humeurs nous empoisonnent, il y a si longtemps que nous n'avons pas dansé, chanté et abandonné nos pensées à la clairière. Femme 4 : Odonette a raison, ne nous laissons pas envahir par le froid de ce château. Je vais aller dans la forêt. L'ancien des bois saura bien me renseigner sur le Sabbat. Les femmes, la reine et la reine miroir sortent. Quand les reines arrivent au niveau de Chronos, il dit : Chronos : C'est fou comme l'effet du passage du temps est drôle chez les humains. La reine miroir, voit Chronos, qui sursaute car il/elle ne s'attend pas à être vu : Comme s'ils ne s'y attendaient pas !!! Echange de regards appuyés entre eux. Ambiance sonore: Les bruits du château, des craquements, des bruits de ferraille, le tic tac des dimanches d'ennui... (…) Ambiance sonore : Au château, bruits de cuisine, hachoir, casseroles, tictac de réveil pendant toute la scène. Scène 14 : La reine, le roi Reine: Maximilien que diriez vous d'un dîner aux chandelles. Nous le prendrions sur la terrasse, le temps est si doux. Roi : Il y a longtemps que nous ne mangeons plus sur la terrasse. Reine: Le chasseur m'a rapporté de la forêt un petit cœur d'une tendresse inégalable. Je comptais le faire rissoler en tranches fines avec les zestes des cédrats que j'ai fait venir de Sicile. Ne me grondez pas, je sais que le chasseur serait furieux s'il savait que je fais venir des fruits de si loin. Mais je me lasse de ses légumes de saison. Roi : Pour le dîner, je ne sais pas... La terrasse a quelque chose de mélancolique qui me chagrine. Reine: Mon ami, juste pour ce soir, un petit cœur si délicat... Roi : Je vous rejoins dans un instant, je monte chercher ma flanelle, le fond de l'air est frais. Ambiance sonore : Dans la forêt, bruits d'eau, de fontaine . Scène 15 : Les trois grenouilles, chaque grenouille a un style différent pour raconter son récit et les réactions des autres sont différentes à chaque histoire. Grenouille Odonette, accent russe prononcé  : Hélas... Trois fois hélas... Grenouilles nous sommes . Mais femmes nous fûmes. Je vais vous raconter mon histoire. J'étais avec Guillemette et Lisbette , celles-ci émettent un croa sonore à l'écoute de leur nom, par une nuit de pleine lune. Je sortais de la clairière où j'avais dansé jusqu'au bout de la nuit, regard réprobateur des deux grenouilles à Guillemette qui se trémousse. J'avais la poitrine gonflée, pleine de désir, quand le Grand Bacchan, le sublime est sorti de la brume. Il m'a regardé, je l'ai regardé, il m'a soulevé, je me suis mise à trembler et il m'a renversé sur une souche. Il m'a dit, «  Je vais laisser sur ton corps des traces indélébiles ». J'aurais du me méfier. Il a posé sur mes lèvres un baiser fou et … POUF !!!! Grenouille Guillemette, elle zozotte : Ze vais vous raconter mon histoire. Zétais avec Lisbette et Odonette, elles émettent un croa sonore à l'écoute de leur nom, par une nuit de pleine lune. Ze sortais de la clairière où zavais dansé zusqu'au bout de la nuit. Z'avais la poitrine gonflée , pleineu deu dézir, quand le Grand Bacchan, le sublime est sorti de la brume. Il m'a regardé, ze l'ai regardé, il m'a soulevé, ze me suis mise à trembler et il m'a renversé sur une sousse. Et il m'a dit, «  ze vais laisser sur ton corps des traces indélébiles ». Z'aurais du me méfier. Il a posé sur mes lèvres un baiser de feu et … POUF !!!! Grenouille Lisebette, en anglais avec un terrible accent français, son ton est mystérieux, inquiétant et par moment dramatique: I ave to tell you my story... I was wiz Odonette and Guillemette, elles émettent un croa sonore à l'écoute de leur nom. It was a dark night wiz a full moon. I came out of ze wood where I 'ad been dancing all ze night, regards réprobateurs vers Guillemette qui se trémousse. My titiz were swollen with desire. Zen, suddenly, ze Big Bacchan, sublime (en français), came out of ze mist. Ee looked at me...I looked at him . He grabbed my trembling bodee and ee sthrew me on a tree trunk. Ee told me: « I will leave on your bodee an everlasting mark ». I should have known; I should have realized. He made me a BURNING kiss...and 'POUF'. Noir Ambiance sonore : Bruits de la forêt. Scène 16 : Blanche Neige perdue dans les bois. Blanche neige : Depuis ce matin je marche. J'ai suivi les cailloux blancs qui serpentent dans la forêt. Entre les arbres, sur le chemin des biches, sur les mousses, par dessus les ruisseaux, je les ai suivis ces cailloux qui ne mènent à rien. Plus j'avance plus les ronces, les lianes et les joncs semblent se nouer sur mon passage. Je suis épuisée. J'aimerais tellement être plus grande, plus forte, plus courageuse. Fadets des futaies, donnez-moi une trompette pour ouvrir les bois... J'aimerais tellement savoir manier le glaive et la hache... et le feu aussi et la foudre et les poisons ! Je crois que je vais dormir un peu, je suis fatiguée. ( elle s'endort) Scène 17 : Les nains, ils découvrent Blanche Neige endormie. Nain : A quoi c'est, ça ? Nain : A ressemble à rien ! Nain : A rien kta vu cause t'es ignare ! A c'est une fille ! Une belle en plus, même, qu'on dirait.  Nain :Comme tu causes toi ! T'en a d'jà vu ? Nain : Des tas ! Des grandes et des petites aussi ! Nain : Où donc c'était ? Nain : Quank j'étais nain au château là bas.  Nain : Et quoique tu faisais au château là-bas ?  Nain : J'chantais, vous en déplaise. Et rire le roi, aussi ! Mais y riait pas, et la reine c'est pire ! Toujours figée à cause que les rides ! J'ai pas continué.  Nain : Zont pas d'humour les ceusses de la haute.... Les princesses... tout ça... zont pas d'humour.  Nain : Pacequ'ici on en aurait plus ! Le suis qu'y est drôle qu' y lève la main ! Ya personne qui lève ?!  Nain : Les bons ! Ça dit pas, ça, quoiqu'on fait d'elle !  Nain : Les filles c'est utile, ça lave et pis ça cuisine .  Tous : Oh !!!!  Nain : Ça cuisine quoi ? Nain : Du mieux qu'on fait nous ? Nain : D'ouque tu sors le nous ! C'est moi qui fait tout. Nain : Kse soit du nous, ou du ktu fais toi, ça change rien, c'est pas bien bon. Nain : Ta ka la cuisine, si si malin ! Nain : Et ça coudre aussi ? ! Nain : Ça coudre, et ça plante les choux. Nain : C'est formidable ! On la réveille ? Tous : On la réveille !!! Ils ont un petit rituel de réveil, un peu chanté, un peu dansé. Nain : Mademoiselle...Oh ! Mademoiselle ! C'est ça quoiqu'on dit , non ??  Blanche Neige se réveille, effrayée. Nain : Zinquiétez pas. On est les nains. Nain : Qui vous zetes vous ? Blanche Neige : Blanche Neige. Nain : Blanche Neige, kêk c'est ? C'est pas un nom. Blanche Neige : Blanche Neige, la fille du roi. Tous : Oh !!!!!!!!! Nain : Je zavions dit que c'était une belle. Nain : Du roi, rien que ça ! Quoi qu'a fait seule, perdute ici ? Blanche Neige : Le chasseur... enfin... Ma belle mère m'a perdue dans les bois. Tous : Hein !!!!!! Blanche Neige : J'ai suivi les cailloux blancs et je me suis perdue. Nain : Les cailloux blancs ! Rien que du bidon ! Faut pas les suivre ! Quelle drôle d'idée ! Nain : Pleurer c'est triste ! Chez nous y a grand ! Si tu d'accord, nous pareil aussi. Nain : Tu quoi sais faire ? Blanche Neige : Vous êtes drôles... ( ils se regardent interloqués) C'est une façon de parler ! Vous êtes... inattendus ! Je connais les plantes et je sais réparer les horloges. Nain : Et pour le c'qui est du manger ? Blanche Neige : Je mange trois fois rien. Nain : C'est pas ça, quoi qu'y veut dire. Dans la casserole, c'est quoi que tu mets !? Nain : Des coqs dans la gelée ?.. Nain : Des truffes qui ont les châtaignes qui croustillent ?.. Nain : Des pommes avec du lapin au milieu dedans ?.. Nain : Ou des gâteaux avec pleins de couches ?.. Nain : Tu sais faire ça, les gâteaux avec pleins de couches et de la crème. Nain : Beaucoup de crème !!! Blanche Neige : Au château c'est la reine qui cuisine.( ils se regardent déçus ) Mais j'apprendrai !... Nain : Alors d'accord, chez nous t'y vas ? Blanche Neige : Vous êtes si drôles... ( ils se regardent interloqués) Et puis, je ne sais pas où aller... Nain : Ça dit qu'elle accepte ? Nain : Pas trop compris !... Pense que peut-être. Ils sortent avec elle. (…) Scène 19 : Le loup VRP, la Reine travestie en vieille. Dis donc la vieille, ça n'a pas l'air d'aller franchement bien. On dirait que j'arrive pile poil ! Je suis le Lupus qui tombe à pic comme dirait l'autre. J'ai idée que mes pommes pourraient t'intéresser. Imputrescibles et rouges à souhait, elles traversent le temps sans une ride. Et pourquoi, hein, qu'elle le traverse le temps ! Pourquoi ? Je te le demande la vieille ? Grâce au laboratoire Mont Sant-Hadès ! Le laboratoire de la civilisation en marche. Le laboratoire Mont Sant-Hadès s'inscrit dans la tradition des mages les plus célèbres et propose aux gens distingués - pour peu qu'ils sachent délier les cordons de leur bourse - un grand choix de potions, mixtures, onguents et orviétans . Merlin, Saruman ou Zoroastre n'ont qu'à bien se tenir. Une goutte infime de chacune des bouteilles de l'établissement Mont Saint-Hadès, repoussera l'asticot aux confins des enfers. Alors ? Bluffée ? C'est quoi qu'elle va prendre la petite dame ? Reine: Je vais prendre le panier de pommes et la fiole rouge, là sur le dessus. Loup : Bingo, la vieille, c'est ton jour de chance on dirait. C'est la dernière bouteille ! Rupture de stock ! Par contre c'est cher ! Normal c'est rare ! La reine lui jette une à une les pièces de sa bourse sur le sol, le loup se précipite pour les ramasser. Loup : Eulà, la vieille n'en jettes plus ! Ça devrait aller. Un conseil, tout de même, utilise bien la pipette graduée qui est gentiment offerte par l'atelier Hadès pour doser le remède ! Une goutte suffit. Un mauvais dosage et c'est la forêt entière qui est empoisonnée ! Une petite contracture et hop, tout le monde y passe ! Attention, la vieille, faut pas rigoler avec la science ! Reine: Arrêtes de m'appeler la vieille !!!!! Ça se croit tout permis parce que ça travaille pour Hadès ! Ça vous regarde à peine, ça vous tape dans le dos en vous appelant ma vieille et ça pense qu'on est dupe ! Imbécile ! ( elle enlève son masque) Sous les hardes et le masque du temps sais-tu ce qu'il y a ? Une reine pauvre crétin ! Une reine à la beauté mythique. Les femmes se flétrissent en me voyant et les hommes défaillent. Alors dégages, crasseux ! Marchand du temple ! Et prends garde au courroux d'une femme offensée ! Elle sort. Le chasseur entre et observe le loup qui lui, ne le voit pas. Loup : Rendez service à l'humanité qu'ils disaient...Travail de chien ! Moi aussi j'étais un loup mythique arpentant les forêts avant les prises de conscience éthiques des uns et des autres et tout le tremblement !... Chasseur : Je t'ai observé, le loup. Que tu aseptises sans réfléchir, que tu éradiques l'asticot sans ciller, c'est une chose, à chacun sa conscience, à chacun son miroir. Mais que tu vendes ton poison au premier venu sans jamais t'assurer de ce qu'il va en faire c'est inconséquent, toqué, ignoble, indescriptible, criminel ! Dégage et que je ne te revois pas dans les parages. Loup : Je démissionne ... Le loup sort et le roi apparaît.

Nouvelles 

Le Roi Bressuire Je m'appelle Bernard. Je m'appelle Bernard et je vous vois. Vous pensez que je ne remarque pas vos regards et vos sourires narquois mais vous vous trompez. Je ne veux ni de vos moqueries ni de votre pitié. Je suis un roi qui avance au cœur du martyr de sa vie. Je suis Bressuire. Je suis le roi Bressuire. Je suis sa mère, Marie-Lucie. J'ai traversé la vie comme j'ai pu. J'ai avancé chaotiquement. Quel choix a-t-on dans la disgrâce ?  Je suis un adjectif. Je suis Petit. Le petit Bernard, le Petit Bressuire. Tellement petit que j'ai glissé du train. Par le trou des toilettes, j'ai glissé des WC. C'est l'histoire que les autres enfants me jettent à la tête depuis mon enfance. Ma mère ne m'a jamais rien caché, elle m'a raconté sa version à elle, simplement, sans méchanceté. C'est le chef de gare qui m'a trouvé sur les voies et qui m'a confié à la maréchaussée en la personne du gendarme Souriceau. Je ne sais pas comment il l'a retrouvée mais c'est lui qui m'a rendu à ma mère. Pendant quelques jours je suis resté Le Petit, en équilibre entre le monde de l'innommable et celui du possible. Puis quelqu'un s'est décidé et m'a donné le nom d'un oncle, Bernard, mort en 17, sans médaille, au printemps, dans l'offensive du chemin des dames. Quand ils me l'ont ramené, petit, fragile, la honte est devenue ma couleur, mon identité, mon unique nuance. Comme je ne voulais pas me noyer dans cette honte, me ratatiner jusqu'à disparaître, j'ai cherché un moyen pour survivre et je me suis mise à regarder les détails, la beauté des détails. Je me souviens de la première fois. Juste après avoir allumé le poêle, installée devant un bol de café, je me suis mise à regarder les gouttes de rosée qui brillaient sur une toile d'araignée au petit matin. Cette même journée, je me suis attardée sur les branches noires de l'arbre qui se dessinent sur le ciel embrasé du couchant en écoutant la musique du vent qui court sur le marais. Depuis le jour où ils me l'avaient ramené, je n'avais pas regardé autour de moi, pas vraiment. Un matin, je suivais le vol d'une hirondelle, son va et vient dans la cours de la ferme et le piaillement de ses petits dans le nid sous le porche et je l'ai entendu babiller, lui aussi, comme s'il leur répondait. J'ai baissé la tête et je l'ai observé. Son petit nez, ses petites mains, ses petits pieds et le grain si fin de sa peau. Il me regardait. Je l'ai regardé me regarder et ça s'est ouvert. Là, au milieu de moi. C'est à ce moment là que j'ai recommencé à sourire. Doucement au début et puis beaucoup, tout le temps. Je souris à tout et à tous. Le sourire me rend acceptable, c'est ma résistance. Sur mon passage on chuchote, « elle sourit tout le temps la pauvrette, elle est devenue simplette ». Je préfère simplette à fille perdue. On m'a baptisé petitement, subrepticement. Le discrédit colorait mes habits de baptême. Aucune joie dans l'église ce jour-là. Que de l'embarras. J'ai grandi, Petit, sans bruit. En fin d'adolescence, pour stopper ma croissance j'ai fabriqué une bosse et j'y ai fourré tout le merdier de ma vie, de ma courte vie. Et mes derniers centimètres, aussi. Je chemine Petit. Le Petit bossu. Nous étions huit filles, le désespoir de mon père. Nous habitions dans une bourine du Marais Breton. Nous étions pauvres et dès nos quatorze ans, on nous plaçait les unes après les autres dans des grosses fermes. Ça faisait des petits sous qui rentraient, et autant de bouches à nourrir en moins. Les deux ainées n'étaient pas placées, elles aidaient à la maison. Nous possédions deux champs, un potager, une petite basse-cour, quelques lapins et cinq chèvres dont on tirait un peu de fromage. Je suis partie dans les deux sèvres à côté de Partenay, une grosse exploitation. C'est une cousine qui m'a fait entrer. Elle connaissait quelqu'un qui travaillait là-bas. Il fallait traire les vaches, nourrir les cochons, les poules, passer la charrue, semer, nettoyer les étables. Il fallait du courage. Quand le gendarme m'a ramené, ma mère m'a repris sans un mot. Malmenée par les vents contraires, elle m'a élevé, gentiment, sans jamais se plaindre. Ils étaient trois, ils m'ont forcée, dans la grange, ils m'ont souillée, tous les trois. C'était pendant les foins, il y avait du monde tout autour. Je ne peux pas croire que personne n'ait entendu, que personne n'ait vu. Ce que je sais, c'est que personne n'a rien fait. Je me débattais, je criais, je pleurais et eux, ils riaient, ils chahutaient, ils beuglaient en gros porcs qu'ils étaient. J'ai du mal à croire que personne n'ait rien vu, rien entendu. En tous cas, personne n'est venu. L'honneur perdu d'une fille de ferme qu'est-ce que ça vaut ? Ça ne vaut rien. Rien. J'ai caché ça aussi longtemps que possible. Je travaillais comme une chienne en espérant secrètement que le bébé finirait par tomber. La fermière m'a chassée quand elle a compris, et je suis rentrée. D'après mes calculs, je n'étais pas loin du terme. A la maison, ils m'appelaient le Petit, parfois le Petiot. Je n'ai pas manqué d'amour, jamais. Ma mère, les grands parents et les tantes avaient toujours un mot gentil, un sourire, une petite bêtise à me dire. Quand ils me l'ont ramené, je n'ai rien dit, je n'ai pas pu raconter. Trop de honte. Ça n'était pourtant pas ma faute tout ça. J'aurais bien aimé parler à ma mère ou à mes sœurs mais ça ne voulait pas. Ça ne sortait pas Le plus dur c'était à l'extérieur, les quolibets, les moqueries. Il fallait passer outre, rester sourde et sourire, au Petit, à la famille, à la paroisse, à la terre entière. Sourire pour effacer tout ce mal qui ne pouvait être défait. Sourire pour faire taire la honte, la colère.  A la ferme je voyais les bête mettre bas. Le cycle de la vie dans une ferme, c'est naturel. Avec les bribes de ce que je savais, je me faisais mon histoire. Je l'imaginais, dans le train. Mille nuits je l'ai rêvée, encore et encore. Je la vois, je vois sa pâleur. Je sens sa peur, sa solitude, son désespoir quand son ventre commence à se tordre. Elle est assise dans ce train du retour, elle ne peut pas attendre. Je sens ses eaux qui coulent sur mes jambes. Je la suis dans sa progression chancelante vers les toilettes où elle s'engouffre, vérifiant plusieurs fois le loquet. Je sens son ventre se déchirer et je la vois frapper les parois en fer avec ses poings pour calmer la douleur. Pour ne pas hurler, elle serre les mâchoires à s'en faire éclater la tête. Je perçois le goût du sang dans sa bouche. Le bruit du train lui vrille la tête. Un changement de voie la précipite contre la parois. Elle tombe, se relève. Quelqu'un frappe, une fois, deux fois, s'en va. Elle a peur, elle se reprend. Elle doit... Il faut que je sorte de son ventre avant qu'on la surprenne... Vite. A chaque fois, à ce moment précis de mon rêve, le bruit strident des freins accompagne mon arrivée et j'apparais entre ses jambes. Le silence soudain de l'arrêt en gare me réveille et je pousse un cri terrible, le cris qu'elle retient dans sa gorge, et, tremblant dans la nuit, je ne suis plus que questions sans réponses. Quand elle m'accueille dans ses mains, pleure-t-elle ? Dans le petit espace de fer et de bois où elle reprend péniblement ses esprits, à quoi pense-t-elle ? Quand elle déverrouille le loquet et qu'elle sort de cet abris de douleur, est-ce qu'elle a peur ? Que ressent-elle quand elle ouvre la porte, du côté des voies, pour me déposer sur les rails ? A-t-elle l'espoir d'un avenir meilleur pour nous deux ou est-elle juste poussée par un désespoir sans limites, sans logique et sans raison ? Je les entends qui disent, «ta pute de mère, Bressuire ! Elle t'a lâché par le trou des chiottes! C'est ça qu'elle a fait, hein ! C'est ça, hein!». Mais qu'est-ce qu'ils en savent ! C'est sur les rails, à la gare de Bressuire que le cheminot m'a recueilli ce jour-là. Il devait faire froid car elle m'avait emmailloté dans son châle en laine. Ce que je n'arrive pas à imaginer, c'est comment elle a fait pour continuer le voyage, comment elle a fait pour rentrer, comment elle a fait pour survivre. Ils disent, « c'est par le trou! Par le trou des chiottes ! ». Les imbéciles ! Que connaissent ils de l'amour, tous ces biens nés ? Que connaissent ils du vrai amour ? Ils croient peut-être que dans leur famille toute lisse, il n'y a pas de cadavres dans les placards et de sales petits secrets sous les tapis ! Je suis la croix qu'elle porte en pleine lumière, Je suis son Petit. Elle m'a repris sans sourciller et elle m'a aimé malgré la disgrâce. Je me souviens de la première fois où j'ai vu Jean. C'était pendant la procession du quinze août, il portait la madone. Il n'était pas ce qu'on peut appeler un beau gars, mais on s'est regardés, et on s'est plût. Un jour d'orage nous nous sommes retrouvés sous le grand saule pleureur à coté de l'église. Les gens couraient se mettre à l'abri mais nous, nous restions là, sous les branches, cachés des regards. Il m'a dit : "Je m'appelle Jean ". La pluie traversait les feuilles vert tendres. Des gouttes énormes se faufilaient entre les branches et s'écrasaient au petit bonheur la chance sur nos épaules, sur nos fronts, sur nos joues, sur nos lèvres. Nous, nous restions là, à nous parler tranquillement de tout et de rien. J'étais trempée depuis un bon moment quand je lui ai dit au détour d'un rire , «j'ai un petit gars de trois ans. Il n'a pas de père ». J'ai ajouté, «il n'en n'a jamais eu». C'est venu comme ça, comme une évidence. Lui, il a répondu, «ah, d'accord. C'est bien», tout simplement. L'automne suivant on se mariait. J'ai eu de la chance, tellement de chance. C'était papa. Mon papa. Papa Jean. Ils pouvaient bien m'appeler Bâtard, fils de chienne ou Bressuire, tous, moi je m'en fichais, j'avais mon papa. Lui, il m'appelait « Petit » ou « Mon Petit », comme tout le monde chez nous, rarement Bernard. On est allé habiter dans sa fermette familiale, dans le marais avec sa mère. Il était gentil avec nous et avec tout le monde. Jamais un mot plus haut que l'autre. La mère de Jean avait rêvé mieux. Rêvé d'un beau mariage où l'on aurait invité les amis, les voisins. Je l'ai compris dès le premier regard qu'elle a porté sur nous. On s'est mariés en petit comité. Nous n'allions tout de même pas inviter toutes les langues qui sifflaient dès que nous avions le dos tourné. La vie a repris. Sa mère et moi, ça s'est arrangé. Je l'ai apprivoisée avec mes sourires, ça n'était pas une mauvaise femme. Jean travaillait chez Gitane, en plus de la ferme. Ses collègues l'aimaient bien. Ils venaient parfois le Dimanche. Quand j'ai eu dix ans, ils m'ont mis au pensionnat. Ils ont sacrifié leurs économies pour que je puisse y aller. Le Jean disait, « c'est important une bonne éducation », et ma mère souriait, heureuse. J'y suis resté un an. Les gamins sont cruels, les curés aussi. Alors entre les classes, à midi, le soir, je me réfugiais dans la salle où se trouvait la bibliothèque, une grande armoire remplie de livres divers. Je me cachais dans le petit coin situé entre le mur et l'armoire et, invisible, je lisais. Je dévorais tout, Jules Vernes, Chateaubriand, Maupassant, Balzac, Victor Hugo, le dictionnaire Larousse et l'encyclopédie universelle, tout. J'aimais particulièrement « L'homme qui rit », je m'identifiais à lui. Je voyageais entre les pages du Lagarde et Michard, j'apprenais par cœur des poèmes. On n'a jamais eu d'enfant Jean et moi. Je ne sais pas si ça le contrariait. Sa mère en parlait parfois, sans conviction. Il disait, « ça viendra si ça doit », et il me souriait gentiment. Nous savions tous que quelque chose s'était arrêté à Bressuire. Le Petit le savait aussi. On a bien vécu, c'est sûr, on s'entendait bien. On gagnait bien avec la ferme et le travail de Jean chez Gitane. Il y avait bien encore quelques jaloux qui jasaient, mais nous, on s'en fichait pas mal. J'ai quitté l'école, trop de méchanceté. Le directeur a bien essayé de me retenir, mais j'ai refusé. Je me suis mis à aider dans les fermes et quand j'ai eu l'âge, une tante qui travaillait à la mairie, m'a fait entrer comme cantonnier. Ça m'allait bien, une vie de plein air, du temps pour regarder, musarder, personne sur le dos. C'est fou ce qu'on trouve dans les fossés. J'avais acheté un petit carnet pour y noter tout ce que je ramassais. Je notais le lieu, la date et l'objet. La première ligne du carnet est la suivante : 12 Mars 1962 : Ecuelle en fer blanc, Allée des platanes coté nord. Après il y a eu beaucoup d'autres choses. C'est poétique les objets, pour qui sait observer, même cassés. Je trouvais des choses très variées, par exemple : - Fourchette – manque une dent-. - Grosse cuillère. - Vieux soulier - jamais la paire-. - Roue d'automobile - parfait état -. - Cruche cassée - très jolie, non réparable -. - Sangle de cuir - sous ventrière surement -. - Pioche oubliée - parfait état -. - Bout de lavabo. - Porte monnaie contenant cent francs en pièces - rapporté à la mairie, jamais réclamé -. - Bout de corde . - Planche pourrie. - Ningle cassée. (1) - Petit portrait de jeune fille partiellement effacé - je l'ai gardé -. - Truelle. - Pièce ancienne - rare, parfait pour ma collection - . Vingt pages de carnets avec les dates pour chaque objet ! La dernière ligne inscrite sur mon carnet est : 10 Juillet 1966 : Cuillère à soupe argentée - très bon état- . Ensuite ça s'arrête. Ensuite tout s'est arrêté. Nous avons vécu de belles années le Jean et moi. Nous étions heureux, à notre façon. J'avais tourné une page. De temps en temps, nous partions une journée à la campagne ou à la mer par le train ou l'autocar. Le Petit nous accompagnait parfois. Nous avions prévu d'aller passer deux jours à Paris pour nos noces de cristal. C'est moi qui l'ai trouvé, en rentrant du travail. Il était là, à plat ventre, la tête dans la vase de l'étier au milieu des iris jaunes, sous le Pont de la Gravelle, un si joli pont en pierre. J'ai d'abord reconnu ses godillots, ensuite sa veste. A côté de lui, son portefeuille, vide. C'était un vendredi soir, jour de paye chez Gitane. J'avais un peu traîné dans le bourg, il faisait beau. J'étais passé au café pour voir s'il y était encore, personne. On rentrait ensemble parfois, lui et moi. Ils ont dû le suivre et ils l'ont assommé le moment propice. Il avait une grande balafre à l'arrière du crâne. Je suis resté là un long moment, les bras ballants avec des larmes qui me coulaient, lourdes, sur les joues. L'eau était rose du sang qui dégoulinait de sa blessure. C'était étrangement beau sous le ciel embrasé par le soleil couchant. Il n'y avait plus rien à faire, alors je l'ai tiré de l'eau et je me suis collé à lui pour sangloter. Quand j'ai vu le Petit au bout du champ, j'ai tout de suite compris. Quelque chose dans sa démarche. Le malheur force son chemin dans les corps, s'imprime dans les traits des visages. Le Petit est reparti prévenir les gendarmes. On a installé mon Jean dans notre chambre sur le lit pour le veiller. Je savais bien que la chance ne passerai pas une deuxième fois, alors j'ai décroché mon sourire. On a survécu comme on a pu dans les jours qui ont suivi. Le Petit pense que non, mais peut-être est-ce un homme seul qui a fait le coup. Les gendarmes ont cherché des indices, interrogé des tas de gens dans le bourg et quinze jours plus tard ils sont venus à la ferme pour nous dire qu'ils n'avaient rien trouvé, aucun témoignage susceptible de faire avancer l'affaire. Ils continueraient à chercher mais ils n'avaient pas beaucoup d'espoir. La nuit qui a suivi la venue des gendarmes, j'ai beaucoup pleuré parce que j'ai compris que cette affaire, elle resterait sans suite. Au premier chant du coq, j'ai mis ma robe de bal, celle que le Jean aimait tant et je suis allée me pendre dans la grange. J'ai enterré ma mère dans le carré des suicidés. Ensuite c'est ma grand-mère qui s'est laissée mourir et je l'ai enterrée à coté de papa Jean dans la tombe familiale. J'ai vendu la ferme. Trop de souvenirs. J'ai pris une maison de bourg avec un petit jardin clos. Je n'ai plus jamais rien écrit sur mon carnet. Aujourd'hui sur mon blason , s'affiche un titre supplémentaire. En plus de Bressuire, Bâtard et Bossu, je suis devenu Vieux Gars, le Vieux Gars Bressuire. Qui aurait voulu de moi avec ma bosse et le poids de ma vie. Parfois sur le bord d'une route ou dans un café, je croise, d'aventure, un inconnu qui a quelques heures à passer et je lui raconte. Je dépose mon histoire sur son chemin pour qu'il l'emmène ailleurs, bien loin et qu'il raconte chez lui l'histoire du Roi Bressuire. (1)Ningle : perche avec laquelle on franchit les étiers ( Chenaux qui régulent l'eau dans les marais)

Le jeune homme aux dreads Dimanche midi trente. Je n'ai pas vu passé l'heure et maintenant, je fonce entre les rayons de la supérette. C'est l'heure de la fermeture, l'ambiance se dilate, les employés se regroupent, ça rigole, ça sent la détente. Quelques retardataires se pensant invisibles, s'éternisent dans le magasin, volent entre les rayons leurs dernières minutes de consommation hebdomadaire puis se hâtent vers les caisses. Je les rejoins. Seules deux caisses restent ouvertes. Catherine ou le jeune homme ? Catherine je la connais de l'école. Mon grand et sa fille étaient dans la même classe. On a partagé quelques jeux de massacre à la fête de l'école, quelques sittings lors de la menace de fermeture d'une des classes de CP. Quand il n'y a pas trop de monde en caisse, on papote. « Et ta fille ? »,« et ton fils ?». «Pas trop de monde ? ». «Pas trop. Il faudrait que ça arrive un peu quand même». Elle travaille toujours le dimanche. Mais aujourd'hui, il y a la queue chez Catherine et je choisis le jeune homme. Ça me changera. Le client qui me précède prend son temps. Il organise son sac du lourd au léger et du sec au froid. Il cale la brique, protège les œufs et les bananes. Il s'applique. Le caissier lui, il s'en fout, il flotte, sourit, soupire, et d'un geste ample retire le chouchou qui entrave ses somptueuses dreads, puis il secoue négligemment sa chevelure de droite à gauche puis de gauche à droite. Ce mouvement d'une sensualité certaine, mais un tant soit peu cliché, ne m'est sûrement pas destiné car son regard me traverse pour aller se rêver sur le rayonnage des petits pois et des flageolets. Le client le regarde dubitatif. Il voudrait bien payer son grand sac de course tout bien rangé, mais le caissier agite toujours ses dreads comme des algues dans l'onde. Il s'appelle Tom. C'est ce que révèle l'étiquette peu discrète accrochée sur son polo, juste en dessous de la broderie Ralph Lauren. C'est alors que j'avise Juliette. Positionnée derrière les caisses. Son nom à elle aussi est exposé sur son t-shirt. Languissamment appuyée contre le poteau métallique qui soutient les vitres de la devanture, comme hypnotisée, elle suit le mouvement cheveulesque de son Samson de supérette. Il fait beau, il fait chaud, c'est l'été, chabadabada. Le doigt posé sur le bouton de fermeture du rideau de fer, bercé par le ronron assourdissant du moteur, elle n'a d'yeux que pour la toison du jeune homme. Conscient qu'elle le regarde, il continue sans se lasser son grand numéro capillaire. Dans le sac bien rangé du monsieur, le froid commence à tiédir. Il toussote plusieurs fois pour attirer l'attention de Ralph Lauren sur ses courses, mais, à cause de la climatisation ou de l'humidité ambiante, il finit par vraiment tousser puis par s'étouffer. Il reprend son souffle péniblement et darde son regard sur la nuque de Tom avec une détermination qui force le respect. Il hésite quelques secondes puis, royal, lève le bras pour lui tapoter l'épaule. Ravivé par ce signal tactile, chouchou, comme une feuille en automne, finit par retomber doucement sur le carrelage du magasin. Son regard quitte à regret l'horizon des gondoles et se pose, amoureux, sur le monsieur en lui indiquant d'un geste gracieux l'engin à cartes multiples.«72 € 95 s'il vous plaît.». C'est alors que le ronron du rideau de fer amorce une variante sonore qui ne présage rien de bon. Catherine, alertée, se retourne, analyse la situation, et crie, « stop !». Juliette, le doigt sur la commande continue à papillonner du cil en souriant à Tom, ou plus exactement à la toison arrière de Tom. Celui-ci, l'œil encore un peu vitreux d'amour toujours, semble avoir perçu le caractère d'urgence dans l'appel Catherine et il essaie courageusement d'embrasser la situation dans sa globalité. Fidèle à sa caisse comme un capitaine à son bateau qui sombre, celle-ci continue à crier « stop » sans beaucoup de succès. Soudain, Tom comprend et tourne brusquement la tête en direction du rideau de fer. Ses dreads fouettent l'air. Le bruit se fait craquement et c'est là qu'intervient Louisette. Louisette c'est ma voisine qui en a vu bien d'autres dans la vie. Née en 42, elle a traversé le siècle et élevé «quatre enfants et leurs cohortes d'emmerdements ». Elle a de la ressource car malgré ses 82 ans, elle reçoit encore chaque été ses 10 petits-enfants, et ses «arrières» aussi. La veille justement, par-dessus le mur, à l'ombre des fleurs du bel arbre de Judée qu'elle a planté il y a quelques années, elle m'expliquait, «Ça me fatigue un peu maintenant ! L'été dernier, la dernière, celle qui est venue fin Aout, elle était enceinte jusqu'aux yeux ! Et bien, je sais que ça n'est pas très charitable, mais je priais le ciel pour qu'elle n'accouche pas à la maison...». Alors Louisette, c'est pas une pile de panier en plastique en train de rendre l'âme sous la pression du rideau qui va lui faire peur. Elle lâche son caddie rempli à ras bord en perspective des agapes familiales estivales, et va dégager les paniers coupables qui bloquent la fermeture. Le rideau patine avec un bruit pathétique. Sous la pression, il est sorti de son rail. Louisette s'y attelle et essaie de le faire rentrer dans le droit chemin. Catherine pressentant l'accident et le dimanche raté bondit de son siège. «Non madame Bonnot. Non ! N'y touchez pas ! C'est dangereux ». Juliette blêmit. Elle a compris. Elle réalise. Elle lâche l'interrupteur et passe du beige nude de son BB crème, au rouge écrevisse. «Ah mais non ! Pardon. Oh là là pardon ! Ça m'arrive tout le temps ! Des trucs comme ça ! Tout le temps ! C'est horrible ! » Dreadounet, qui ne se sent pas complètement innocent dans l'affaire, plonge derrière sa caisse pour s'occuper enfin de mes courses. «20 € 10». Quand je franchis la porte, Catherine, Louisette et Juliette font un état des lieux rapide des dégâts. Le rivet du rideau a explosé le rail. Il est bloqué-bloqué. Quid de la fermeture tranquille et de « tout le monde rentre chez soi bien gentiment ». Je les abandonne à leur malheur pour aller ranger mes courses dans la voiture. Je ferme le coffre et lève les yeux. Derrière le mur, dans un jardin attenant, les longues dreads vertes d'un grand saule alangui, flottent dans la brise de juillet.

La Drunkitude Début avril, fin de grippe. Pleine lune de printemps. La vase du port, redessinée par les vagues, scintille, graphique, dans les derniers rayons du jour. Il fait chaud, l'envie irrépressible de sortir emplit les quais. Un avant-goût d'été. Ça fait du bien, un bien fou. Nous avons rendez-vous avec des amis dans un petit bar rétro, musique live. Ils doivent nous rejoindre, on s'installe en terrasse. On, c'est mon mari et moi. C'est une soirée de rêve avec un petit air de juste parfait. On commande une bière, ça joue bien on dirait. Pas trop le temps d'écouter car l'homme à la table à côté me regarde. Je croise son regard, il me sourit. Je le connais, c'est sûr. C'est qui ? J'en ai pour la soirée à chercher. « Vous êtes de Pornichet ? » Je cherche, je cherche, je ne le remets pas. Damned. Mon mari répond « Oui, et vous ? » « Ben ouais, je reviens vivre ici. Je suis né ici et j'reviens vivre ici. Elle est pas belle la vie ! » En fait, je ne le connais pas. Il m'a juste regardé comme ça parce qu'il est complètement saoul. Le regard profond « In vino véritas ». « Je m'appelle Bob, et vous ?" Je le sens mal mais comme on est gentils, on dit nos prénoms. « En fait, Bob, ben c'est Robert ! Ça veut dire Robert, Bob ! » Je pense « Sans déconner... ! » mais je garde ça pour moi. Bourre et bourre et ratatam n'as pas d'humour, la vie m'a appris. « En fait bon...ben... c'est Robert... Bob ! C'est le diminutif américain de Robert. J'aime bien Bob. Mais j'aime pas trop Robert. Ça vous dérange pas si je viens un moment à votre table ». Le regard de mon mari croise le mien. Pas enthousiaste pour le moins. Il n'est ni agressif ni désagréable, il est juste bourré. Alors comme on est gentils et polis, on dit oui, ou plus exactement on ne dit pas non. Il bascule vers nous avec son verre et laisse son portefeuille et son portable sur la table où il était et il entre en matière, sérieux comme un pochetron. « Y a que l'amour ! C'est pas vrai ? Dans la vie... Ya que l'amour ! » Il reste en suspend, réfléchit une quinzaine de secondes un peu longuettes et il bascule brusquement vers la table où il était pour récupérer son portefeuille et son portable. Il revient vers nous avec une dextérité surprenante vu son état et plante son regard dans le mien. Soit je lui rappelle quelqu'un, soit il a un problème avec la gente féminine. « C'est quoi qui vous fait kiffer dans la vie ? » Il darde son regard dans le mien. Il fait son profond

Filoche et Philomène. Régulièrement c'était un sale type. Régulièrement avec les poings, il y allait. Avec les pieds aussi. Des grands coups de bottes, sans arrêt du matin au soir. Il ne buvait pas pourtant. Il était mauvais c'est tout. Dans le hameau tout le monde savait. Faut dire que les murs de pierre ça résonne et que les fermes n'étaient pas bien loin les unes des autres. Le bruit des coups rebondissait le long des maisons et sur les lauzes, mais les insultes, elles me filaient droit dans le cœur. Des insultes et des phrases assassines, pour la rabaisser. Personne ne se souvenait de quand ça avait commencé. Depuis toujours il la dérouillait. Quand tu le croisais, il avait toujours le cigare au coin de la bouche. C'est les Suisses qui les lui fournissaient, parce qu'avec le beau monde, il savait y faire ! Ah ça! Quand il leur offrait des paniers de légumes du jardin ou des œufs du jour, il avait toujours un sourire à portée de main. Des fois il leur offrait même un poulet, une polaille on appelait ça en patois. On parlait tous patois entre nous, ici, à l'époque. Quand il y avait quelque chose à attraper, il était pas avare de politesse! On avait beaucoup de Suisses qui venaient le week-end et pour les vacances. Tu l'aurais vu trainer le samedi vers midi à faire son môsieur à l'entrée du village, planté sur le bord de son champ le cigare au bec pour se rappeler au bon souvenir des Genevois ! Un petit coq, si tu vois ce que je veux dire... Il plaisait, quand tu le connaissais pas. Il était beau gosse, pas bien grand mais râblé, jovial. On peut pas dire qu'il était feignant non plus. Il faisait le gros. Il bêchait le jardin, il passait la faux, il faisait les réparations quand y en avait. Parfois il nettoyait l'étable mais pas souvent. Tout le reste c'était pour Philomène, la traite, les foins, le jardin, les conserves, le bois, la cuisine, le ménage. Elle menait aussi leur cinq vaches au champ et elle s'occupait du poulailler et des clapiers. Je me souviens pas s'ils avaient des cochons. C'était bien tenu, tu peux me croire ! Jamais de répit. Elle était costaude, une vraie savoyarde. C'était pas drôle, tu sais, la vie des femmes à la montagne à l'époque, pas drôle. Le père, il disait, le Filoche c'est un teigneux! Il pouvait pas se l'encadrer, ça non ! L'hiver, pendant les veillées où on cassait les noix en causant entre femmes, jamais elle se plaignait et quand l'une d'entre nous osait aborder le sujet parce qu'elle avait un œil au beurre noir ou pire, elle disait, mais vous bilez donc pas, je suis maligne, quand il commence à me borler dessus et que je sens l'abadée qui arrive, je me cache sous la table ou dans les recoins, ça me protège quand même. Tu parles que ça la protégeait ! Elle essayait de les cacher mais nous, on les voyait bien ses bleus quand elle remontait ses manches ou quand elle boutonnait pas sa chemise jusqu'en haut. Et c'est souvent en boitant qu'elle remontait le chemin derrière ses vaches. On a jamais su pourquoi il la tapait comme ça. C'est peut-être la consanguinité qui le rendait si hargneux. Faut dire qu'à l'époque, tu vas rire - même si c'est pas drôle d'ailleurs - on se mariait entre nous. On sortait pas trop du triangle Beaumont, Vovray et St Blaise. C'était mal vu ! Pas question de ramener une rapportée de la vallée. Quand le Lulu de la Jeanne - je sais pas pourquoi mais c'est surtout les hommes qui avaient des surnoms à l'époque - est revenu au hameau avec une Suisse, ça a fait toute une affaire! Tu les aurais entendus braire! Une horreur! Qu'est-ce qu'elle a pas entendu la pauvre... Personne ne lui parlait ! T'imagines ! Quelle époque ! La Suisse c'est à quoi ? Vingt kilomètres ! Seulement c'était une protestante, si tu vois ce que je veux dire !Au début, ils ne la laissaient même pas entrer dans l'église ! Elle était gentille pourtant, lui aussi d'ailleurs, un couple de gentils. Ils ont eu cinq enfants, tous baptisés, et bien tu me crois si tu veux, trente ans plus tard, ils l'appelaient encore la protestante. Pour Philomène, tout le monde était au courant. Les gendarmes d'Anemasse aussi. Quand on les appelait au hameau, ils faisaient toujours un tour par chez eux avant de redescendre dans la vallée. S'ils entendaient le Filoche cogner, ils entraient sans frapper et ils lui remontaient les bretelles. Ça le stoppait net. C'était pas comme maintenant les gendarmes à l'époque, ils avaient un poste à vie et il connaissait tout le monde dans les vallées. Ils étaient humains. Les gens les faisaient entrer pour discuter et pour un café. C'est souvent qu'ils ajoutaient une bonne petite rasade de goutte dans la tasse et personne y voyait à redire, c'était autre chose que maintenant. Il y avait encore pas mal de monde qui avait hérité du privilège de bouilleurs de cru de leurs parents et qui faisait leur propre gnôle. Dans le coin c'était surtout de la prune, de la pomme et de la poire, parfois de la cerise. Alors tu penses bien que ça y allait ! Ils voulaient tous te faire goûter la leur parce que c'était la meilleure. Moi j'ai jamais aimé ça, trop fort. Je sais pas si le Filoche il invitait les gendarmes à boire un coup, ça m'étonnerait. Dans tous les cas, dès qu'ils avaient tourné les talons, ça manquait pas, il remettait ça de plus belle, comme si c'était sa faute à elle, s'ils étaient entrés pour l'engueuler. Parfois c'était un du village qui lui criait quelque chose à travers la porte, ça faisait effet en général, même si c'était pas pour bien longtemps. Mon père était monté une fois ou deux, mais après, il voulait plus y aller. Si je monte, je le tue , qu'il disait. Un après-midi qu'on était à jouer aux cartes sur un coin de table, voilà Philomène qui entre, toute décoiffée, avec son tablier de travers, l'air complètement perdu. J'l'a tua !... J'l'a tua ! Elle répétait ça en boucle en nous regardant comme si elle nous voyait pas. J'ai pas besoin de te traduire, t'as compris... On s'est tous regardés, on savait pas quoi faire, le père il l'a faite asseoir, il lui a pris les mains et il lui a dit, toi, tu restes ici tu bouges pas ! Le Jean et moi, on va monter chez vous et si y a besoin, après, on ira voir les gendarmes. S'ils te posent des questions tu diras que tu as passé l'après-midi ici, à jouer aux cartes avec nous ! T'as compris ! Je me souviens de la scène comme si c'était hier, même de la couleur de la toile cirée. D'abord ils sont montés à la ferme et le père il nous a raconté que le Filoche il était là, par terre dans la grange, dans une grande mare de sang. Elle lui avait fendu le crâne en deux d'un grand coup de serpe. Mon père m'a dit que la première question des gendarmes avait été, elle est où Philomène ? Forcément ! Mais mon père il s'est pas démonté, il les a regardés bien droit dans les yeux et il a répondu, elle est chez nous, on a joué aux cartes tout l'après-midi. Les gendarmes sont montés à la ferme, ils ont mené une petite enquête mais personne n'a rien dit et, coup de chance, le fils du Raymond qui est un peu bobet a dit qu'il avait vu un vagabond traîner dans le coin le même jour. Les gendarmes, ça a fait leur beurre et ils ont conclu dans leur rapport que le Filoche avait dû le surprendre à vouloir voler quelque chose et que l'homme lui avait probablement asséné un coup fatal avant de s'enfuir. Ils n'ont pas relevé les empreintes sur la serpe, à l'époque pas d'ADN et l'affaire était réglée. Tu m'enlèveras pas de l'idée que les gendarmes savaient bien ! Tout le monde savait bien que le vagabond, il portait jupon. Personne n'était dupe. Mais à 70 ans et après la vie de calvaire qu'elle avait menée, ni les gendarmes ni personne au village n'aurait admis que Philomène puisse finir sa vie en prison. Alors tu comprends pourquoi je te raconte ça ? C'est parce que je veux pas que ma médecin, ni toi, ni personne vous fassiez un signalement. Ça ferait trop d'histoires. Moi, il me tape pas dessus. C'est psychologique, c'est tout. Quand il me sort ses horreurs ou qu'il téléphone à ses nanas à un mètre de moi dans le salon, je pense à Filoche et Philomène. Je sais qu'il me tapera pas. Les mots tu sais, ça te casse pas un bras. Quand il me sort ses conneries, ça glisse sur moi comme de l'eau sur une toile cirée. J'ai mes bouquins, ma radio et mes chats. Et puis, je sais pas comment le dire... Quelque part, je me dis qu'il est malade, il me fait presque de la peine. La seule chose... Qu'il s'avise pas de me ramener une de ses poules à la maison.

Petits écrits

Pérégrinations métaphysico-réalistes par temps de confinement Troisième jour de confinement A neuf heures, le matin sur la terrasse, dans ma chaise longue, protégée du vent par deux haies de pittosporum, une couverture sur les épaules, je bois mon thé. À 14h, dans ma chaise longue, sous le cerisier en fleur, je regarde les abeilles butiner. Oh ! un papillon. À 15h, dans ma chaise longue, dans mon bureau, sous la fenêtre ensoleillée, j'écris. Mais où est donc passée l'inspiration ? À 21h, dans ma chaise longue, je regarde un de ces nombreux films que j'avais stockés, sans jamais avoir le temps de les regarder. Avant tout cela, je n'étais jamais resté plus d'une demi-heure dans ma chaise longue. Cinquième jour, ralenti du confinement : J'ai passé la vitesse molle. J'aurais préféré la pédale douce. Le temps s'étire dans la faille temporelle puis soudain se rétracte. Je m'alanguis dans ce luxe de temps, je prends mon temps et déjà c'est le soir. Chi va piano va sano, chi va sano va lontano. Si le proverbe dit vrai, mes pas me porteront à l'autre bout du monde. Blues du confinement J'ai fait les vitres, j'ai fait le gaz. J'ai refait les vitres, j'ai refait le gaz. Je referais les vitres, je referai le gaz. Blues du confinement 2 J'ai fait un rêve. Râper les patates en premier ? Râper les carottes en second ? Non, râper les carottes en premier, et seulement ensuite, râper les patates. Moins de vaisselle. Ah ! Ah ! J'ai fait un autre rêve. Surtout bien y penser au réveil : Râper les carottes en premier, ensuite les betteraves. Puis les patates. Moins de vaisselle. Hi ! Hi ! Confinement 27 mars 2020. Avant même que mon réveil sonne, j'ouvre les yeux. Les feuilles naissantes des arbres se détachent sur le même ciel bleu qu'hier. La même bise glaciale menace les bourgeons. Nulle trace d'avion dans le ciel en partance pour ailleurs. Le printemps est splendide. La pensée consciente reprend doucement son espace et dégage les brumes de la nuit. Le même matin que les jours précédents, la même ambiance, le même refrain, sourd et lointain, mais bien présent, le refrain d'hier, d'avant-hier et d'avant avant-hier. Comme dans le film «  Le jour de la Marmotte ». L'impression du même jour qui recommence chaque matin. Il m'englue dans ses vides, grignote mes espaces, et me lâche pour finalement mieux me rattraper au détour d'une vidéo ou d'un dessin humoristique relayé par la toile. Mes amis et les amis de mes amis tissent inlassablement des liens virtuels pour tromper la menace et l'ennui. Je regarde le ciel bleu, translucide. Le printemps est beau. A moi de voir s'il me nargue ou s'il m'accompagne ce matin. Je pose délicatement les pieds sur le plancher. Le droit en premier. 28 Mars 2020, Mon amie. Tu me manques tellement, Que fais-tu sous le soleil insolent  de Mars ? A quoi rêves-tu en regardant le ciel limpide ? Que portes-tu dans le froid glacial du matin et dans la tiédeur de l'après-midi ? Vers quel horizon vogues-tu quand la rêverie s'invite ? Confinée dans mon espace mental, je t'imagine et je vogue. Que fais-tu de tout ce temps ? 28 Avril 2020, En avril ne te découvre pas d'un fil Ça avait commencé le 15 avril, une chaleur de changement climatique, qui était montée en puissance. Au début, on était plutôt content, surtout les haricots verts. Faut dire qu'en mars il avait fait un froid de chien, un vent sibérien avait séché les bourgeons et dissuadé les gens de sortir sans pour autant régler son compte au virus. Alors on s'était réjoui. Mais quand, le 20 avril, veille de mon anniversaire, le thermomètre avait atteint 30 degrés de jour comme de nuit, la chaleur avait rattrapé le confinement et les gens étaient devenus complètement dingues. On les voyait sortir à l'aube et au crépuscule dans la limite des autorisations, comme avant, mais ils se mettaient à parler seul, à vociférer, même, parfois. Certains vous apostrophaient dans la rue, au risque de franchir la distance de sécurité. Ça faisait peur. J'observais tout ça avec mes jumelles, en rigolant, goguenarde. Et puis ça a commencé à m'attaquer aussi. La mer me narguait. Dans la petite trouée d'arbre, elle scintillait au bout de la rue. Elle me narguait. Les éclats de lumière que renvoyaient l'eau, m'adressaient des messages codés. Ça disait : « Il fait chô...ô...ô... non ? ». Et aussi : « C'est dû...û...û...r, hein ! ». et encore  «  Mais viens donc, tu risques quoi...oi...oi...? Une amende ! La belle affaire». Et chaque jour, de ma fenêtre, les yeux rivés sur la mer, un nouveau message que je décryptais : « Lâche, dégonflée !!! », « Regarde-moi, je t'attends ! », «  Alors, quoi ! Je ne vaux pas une amende !!! » Et c'est le 28 avril, jour de ma fête que j'ai craqué. J'ai ouvert le portail, j'ai regardé à droite, à gauche. Rien. Je me suis lancée. J'ai couru à perdre haleine, j'ai dévalé la rue. Arrachant mon t-shirt, j'ai dégagé mon soutif et enfin, sautillant d'un pied sur l'autre, je me suis débarrassée de ma jupe et de mon slip. Puis, arrivant enfin à la plage, j'ai envoyé valser mes chaussures et me suis jetée à l'eau sans remarquer, malheureuse, le tuba à quelques mètres de moi. Je nageais quelques brases sublimes avant de le voir. Il émergea lentement, presque tranquillement. Sur le tuba un masque et derrière le masque, un plongeur de la gendarmerie qui, en retirant ce dernier, me dit : Madame votre autorisation. Je ne l'ai pas monsieur l'agent, désolée vraiment. Et bien madame, puisque c'est comme ça, je vais devoir vous dresser un procès-verbal, car, madame, permettez-moi de vous le dire, en avril on ne se découvre pas d'un fil. A vous amis de Paris confinés.  Hier je vous ai pris avec moi dans mon petit coin de paradis Sur les perles de rosée des herbes folles, je vous ai menés. Sur les boutons-d'or éclatants je vous ai posés.  Dans le grand pin, les oiseaux déchainés vous ont salués. Nous avons regardé la mer. Au bout de la prairie, elle se déclinait en nuances d'acier, L'eau, les bancs de sable, les courants, brillances de gris. Je vous ai menés sur la pierre chauffée par le soleil. A coté, le dolmen, au loin Noirmoutier.  Pas un bateau, juste la mer, la lande et nous.  En compagnie des hirondelles, des pigeons et des geais,  Deux petits chênes solides fêtent le printemps. Sur la pierre s'est posé, un papillon. Je pense à vous. Ca y est je délire, je me disais aussi que ça finirait bien par arriver ! Maintenant ça suffit, Ben-Hur enlève ton masque. Cachez ce masque que je ne saurais voir. Ô Rage,ô Désespoir ô Masque ennemi. Un masque vaut mieux que Covid tu l'auras. À qui qu'il est le gros vilain masque, à qui qu'il est ? Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et quand on met un masque c'est très invalidant. Loup y es-tu, m'entends-tu, que fais-tu ? Je mets mon masque aux normes AFNOR. Promenons-nous avec nos masques, pendant que le loup n'y est pas. Covid dans les prés, colchiques colchiques, covid dans les prés, sévissent les grands masques. J'entends le loup le covid et le ministre, je vois le loup qui coure avec un masque. Masque en papier ne dure qu'un moment, masque en tissu dure toute la vi-i-e. Il était un petit homme, pirouette cacahuète ,il était un petit homme qui avait un drôle de petit masque, qui avait un drôle de petit masque. Margoton va ta l'ieau avec son cruchon, comme elle avait un masque, elle est tombée au fond. Aïe aïe aïe aïe se dit Margoton. C'est la fille de la meunière qui dansait avec les gars, elle a perdu son beau masque son beau masque qui ne tenait pas. Qui n'tenait, qui n'tenait, qui n'tenait guère, qui n'tenait, qui n' tenait, qui n'tenait pas. Dans la forêt lointaine on entend le hibou du haut de son grand chêne, il répond au coucou. Coucou hibou j' ai mis mon masque, coucou Hibou j'l'ai mis. Coucou hibou coucou hibou coucou le mettras-tu ? Il était gros comme un champignon, frêle délicat petit mignon. Pour se protéger il avait bien mis son FFP2, Jean de la lune Jean de la lune. Lettre empoulette Ma très chère, ma très douce amie. C'est avec regret et les yeux humides que je vous annonce que je ne pourrai, que je ne saurai vous rejoindre à la fin du mois dans ce Paris vivant qui me manque tant. Que vais-je devenir sans ma dose annuelle de potins mondains. De vrais potins qui parlent du bottin mondain, de ces potins qui, bien distillés, me permettent d'alimenter les conversations pendant les longs mois d'hiver dans ma lointaine province. Saleté de petits virus, frein têtu, enliseur d'esprit, lamineur de projets. Quand cesseras- tu de te mettre sur notre route et sur nos chemins de traverse, nos chemins d'enthousiasme ? Néanmoins, mon amie, comme nous pourrons tout de même bientôt quitter nos mille mètres autorisés et élargir notre périmètre à cent kilomètre, j'ai pris un crayon de bois et de la ficelle à rôti et j'ai tracé sur une carte de la région notre nouveau territoire. J'irai donc à partir du 11 mai : A Pontchâteau ramasser les escargots. A Challans chasser le faisan. A Chantonnay faire ce qu'il me plaît. Aux Herbiers cueillir du pourpier. A Saint-Mars-la-Jaille rouler dans la paille. À moins qu'en direction de New-York, j'aille noyer mon chagrin dans l'océan Atlantique. Je plaisante ! Ne vous inquiétez pas ma douce, mon aimée, je ne suis pas désespérée et je saurais bien, un jour de téméraire audace, dès potron minet, défier par les chemins de traverse les injonctions de restriction. Ouvrez grand vos oreilles, si un soir vous entendez sous vos fenêtres chanter notre chanson secrète, pressez vous à ouvrir, car ce sera moi qui vous aurais rejointe. Ode à ma gomme Ma très chère, mon aimée, En ces temps confinés, je pense à toi, en ces temps confinés, je te sais grée. Longtemps je t'ai cherchée sans jamais te trouver. Je t'ai imaginée, rêvée, désirée. Je ne pouvais accepter l'idée que personne avant moi n'ait pu t'envisager, ma précieuse, mon indispensable. A chaque rentrée des classes, je t'ai cherchée. En Espagne je t'ai cherchée, au Portugal je t'ai cherchée, en Corée et je t'ai cherchée et j'ai abandonné. C'est à Greifswald, alors que je ne m'y attendais plus, que je t'ai trouvée. Je me souviens très bien de ce jour-là. Je venais de manger un sandwich aux harengs de la Baltique sur la table haute du poissonnier ambulant du marché de la place de l'hôtel de ville. Les façades de briques colorées se découpaient sur l'azur du ciel. Le soleil rasant du Nord étirait les ombres à l'infini et mon sandwich débordait de surprises gustatives car, ne parlant pas l'allemand, j'avais pointé mon choix au petit bonheur la chance. J'avais léché mes doigts, c'était alors encore chose possible, une fantaisie gourmande et innocente. J'étais repartie et c'est dans la papeterie qui jouxte la place que je t'ai rencontrée. Rouge, modeste, avec deux de tes soeurs, bleue et violette, tu attendais. Sous le blister, tu patientais et je suis arrivée. Fébrile, j'ai ouvert l'emballage et je t'ai glissée au sommet de mon crayon de bois. Depuis nous ne nous quittons plus. Tu m'accompagnes discrètement et fidèlement. Tu résistes à mes erreurs à mes humeurs, à mes langueurs, à mes terreurs. Tu m'accompagnes sans jamais protester. Je t'ai traînée dans tous les cafés de Greifswald, à la bibliothèque, dans mes cours, dans ma chambre, dans mon bureau, dans mon jardin, et ces onze derniers jours ta présence m'aide et me soutient car si l'inspiration n'est pas toujours au rendez-vous, je sais que tu es toujours là pour rectifier les erreurs et relancer ma main. Puis, quand une fois la tâche accomplie, je te confine dans l'endroit où je sais que toujours je te retrouverai, tu patientes sans broncher. Tu as vieilli et ne ressemble plus qu'à un petit bout de rien perché sur mon crayon mais j'attends que tu lâches pou te remplacer par une de tes sœur. Je te remercie, ma de tout cœur, ma très chère pour ton aide discrète. 19 e jour de confinement : Je regarde par la fenêtre et je vois passer… Danielle. La rue s'étire sous le soleil insolent de mars et descend tranquillement vers la mer. De chaque côté, les maisons sommeillent pendant que les jardins se déchaînent et bourdonnent. Depuis qu'ils ont taillé quelques arbres, une toute petite trouée me laisse entrevoir la mer qui scintille. Dans la rue personne et puis quelqu'un. Légère et bien vêtue, elle va à grand pas, sautille, même, par moment. Elle n'est pas si jeune, mais son pas est alerte. Je mets mes lunettes, on dirait Danielle. C'est Danielle. J'ouvre la fenêtre pour l'appeler quand je vois arriver du bas de la rue, le gros panier à salade de la gendarmerie, celui qui circule entre deux rondes d'hélicoptère et le passage du drone de surveillance... Danielle ne sautille plus, elle ralentit, alourdit sont pas, claudique même un peu. Le fourgon ralenti, s'arrête et j'entends : Bonjour Madame pouvez-vous me montrer votre attestation. Mon attestation ? Oui, votre attestation de sortie. Mais où avais-je la tête ? Promenade et jardinage Voici le printemps. Danielle c'est la reine des Aïkus. Elle s'amuse. Oui madame, mais puis-je voir votre attestation ? Pardon ! Bien sur, la voici Je n'avais pas d'imprimante Ecrite à la main ! Vous savez que... Comme j'ai cassé mes lunettes, J'espère que vous comprendrez Difficile à lire ! Effectivement, on n'y voit pas grand chose ! Je suis vraiment désolée Malgré ma bonne volonté C'est pas très lisible. Vous habitez bien sur le port ? Oui c'est ça. Vous savez que vous êtes a plus d'un kilomètre de votre domicile... Danielle hésite, l'heure est grave, elle abandonne les Haïku, se concentre, affine sa stratégie. Ah bon ? Je suis désolée, d'habitude je me promène en ville, et là , avec tout ce soleil et le printemps qui arrive... Je n'ai pas réalisé que j'avais autant marché. Et puis, je vous assure que je trouve difficile d'évaluer ce que représente un kilomètre. Moui... Je vous vois dubitatif, mais je vous affirme que tout ça est un peu compliqué pour moi. Parfois je me demande si je ne ferai pas mieux de... Danielle a ralenti le débit avant de s'arrêter. Elle baisse la tête, comme abattue, ouvre son sac, farfouille, sort un Kleenex, se tamponne les yeux. Le gendarme flanche, sa silhouette vacille, il se tourne vers son collège qui hausse les épaule. Il hésite et tranche. - Ne vous inquiétez pas, madame, la date est bonne, l'heure est bonne, pour cette fois ça ira comme ça. Oh, merci monsieur l'agent! Je ne sais quoi vous dire C'est vraiment gentil. Au revoir madame, bon retour au port. Au revoir messieurs. Le fourgon repart. Danielle se retourne pour le regarder s'éloigner, sourit et repart en chantant : Alla matina apena altzata O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao Lettre au personnel de l'EHPAD de Pornic, Tu attends, enfermé. Tu attends, ton soignant, ton aide. Ses yeux vers le monde sont tes fenêtres, ses gestes, ses intentions, ta bouffée d'oxygène. Un regard, un geste, tout compte, le fil est tendu. Quand il blague, tu ris, quand il rit tu revis. A vous, soignants merci. Merci et pardon de n'avoir pas mesuré à quel point, depuis un certain temps, quelque chose ne va plus au royaume de la santé. Tu attends la dame avec le balai, le monsieur avec le chiffon, celui qui a toujours un petit mot gentil et qui traque l'ennemi invisible. Chevalier sans masque et sans blason. Merci, merci à vous qui oeuvrez dans l'ombre avec petits salaires. Tu attends le plateau du midi et puis celui du soir, car tu sais qu'en cuisine, encore plus que jamais, ils débordent d'attentions et de précautions. ils y mettent leur cœur, Merci, merci à vous, qui chaque jour mettez les petits soins dans les grands plats. Tu attends en regardant par la fenêtre le jardin qui ouvre ses bourgeons. Tu guettes l'homme qui l'entretien. Il arrive, il lève les yeux, un petit signe, un sourire. Tant de gentillesse, comme ça, pour rien, comme ça. « Un jour je sortirais » tu penses « et j'irais jardiner dans les grands bacs en bois qu'il a fabriqué pour nous et je lui sourirai ». Merci, merci à toi qui déborde d'imagination et de boutures. Merci pour cet amour de la nature que tu sais si bien transmettre. Et puis merci aussi à tous ceux qui organisent le désorganisé, et animent comme ils peuvent dans chaque petite chambre le chevet des résidents. Merci car je ne sais pas où vous puisez tout le courage de tenir dans cette tourmente et où vous trouvez le courage de rester droits et dignes face à ces bureaucrates qui font la course sur l'échelle hiérarchique et qui ne voient que chiffres et rendement . Le jour de la fin du confinement. Je m'éveille péniblement, le silence de ces derniers mois vient de ce déchirer. On dirait des pétards. Ce sont bien des pétards. Midi. Je suis décalée. Comme hier, comme avant-hier, comme avant avant-hier, comme depuis... trop longtemps. Je m'en souviens tout d'un coup ! C'est aujourd'hui ! Ca y est ! Ils l'avaient dit : "Nous n'avancerons pas de date pour ne pas donner de faux espoirs ! Nous l'annoncerons le jour même ». Et c'est aujourd'hui ! Le jour même, c'est aujourd'hui ! Mon dieu! Je panique ! Je me précipite dans le placard de la salle de bain. Ouf il est là ! Le petit paquet de henné que j'avais gardé pour cette occasion est bien là. Mais surira-t-il à couvrir mes racines ? Argh ! Le téléphone ne va pas tarder à se mettre à sonner, et les rendez-vous à tomber. Tellement de monde a embrasser. Mince, c'est vrai, c'est l'été et je n'ai pas sorti mes vêtements d'été! Ça devait arriver, à force de traîner en jogging. Je fonce dans la chambre, monte sur une chaise attrape le gros sac en haut du placard. Il me déséquilibre. J'oscille. Manquerait plus que ça que je me casse une jambe avec le bordel dans les hôpitaux ! C'est pas possible ! Il n'y a que les chaussures et les manteaux d'été ! Mais où sont mes robes ! Ah! Oui, le sac au fond du grenier avec les maillots et les shorts. Pas très logique, faudra que je pense à inverser à l'automne. J'applique la bouse végétale vite fait mal fait. Une heure de pause, dix minutes de rinçage, ça devrait aller. Oh ! Mais non ! C'est quoi ces poils, on dirait la chèvre de Mr Seguin, ça ne va pas le faire, avec ma robe. Mais où est donc passé mon Epilady ? Ah ! Ouf ! le voilà. Bisous bisous mon chouchou sauveur. Ca y est ça commence. Qu'est-ce que je disais ! Allô ! Ouiiii, mais ouiii, mais c'est génial !!! Comment ? Une heure ? Heu ! Non non, c'est parfait, j'amène les chips... Quel bonheur... Oui, à tout de suite. Bisous. J'en étais où ? Ah oui, d'abord je rince, ensuite je sèche, après les poils et hop. Oups j'allais oublier le rouge à lèvres. Indispensable le rouge à lèvres. Mais qu'est-ce que je raconte ! Avec le masque c'est ridicule ! Quoi que...

La carte de réduction SNCF - La carte de réduction que la SNCF m'a vendue bien cher à grand renfort de publicité ne réduit rien du tout. Ou plus exactement, pas du tout tout. En fait, presque rien.  Sur la réclame qui m'a fait cliquer sottement sur j'achète, il était pourtant écrit «  Réduction sur tous les trains ». Définition de tous dans le dictionnaire Larousse : Tous : Au pluriel, suivi d'un déterminant, exprime l'ensemble, la totalité sans distinction. Ceux qui ont fomenté cette publicité ont dû confondre l'adjectif indéfini « tous », avec l'adjectif indéfini « certains ». Ces deux mots n'ont pourtant que le S persiflant et le T comme lettres communes. T comme, Tu as entre 29 et 59 ans et... Tu crois encore au père Noël, alors c'est... Tant pis pour toi et... Tant mieux pour les actionnaires de la SNCF - Une arnaque c'est ça, on te promet quelque chose et ça ne marche pas. Ou bien c'est faux tout simplement. Ou bien tu n'as pas lu les astérisques et c'est tant pis pour toi, tant mieux pour eux. Mais qui sont eux ? Ceux qui t'ont arnaqué ou un ensemble de problèmes planétaires qui s'apparentent à un dysfonctionnement généralisé des systèmes. - Quand tu t'es fait arnaquer, tu es énervée. Ça ne sert à rien. S 'énerver quand tu t'es fait arnaquer, c'est comme une double peine. Face à la mauvaise foi de la promesse non tenue de la SNCF, tu peux gueuler - assez longtemps d'ailleurs-, essayez de les contacter par téléphone - et alors là, bon courage -, chercher une gare avec un guichet – c'est devenu très très rare quand tu n'habites pas dans une grande ville -, ou alors tu peux leur écrire avec copie à un organisme de défense de consommateur, comme une bouteille à la mer.

Texte à démarreurs d'après le concept de Pérec Je me demande si j'ai bien éteint le gaz sous la casserole où mijotait le plat que j'ai mis deux heures à préparer. Je me demande si l'horloge du four n'aurait pas besoin que je change les piles, parce que ces deux heures de cuisine ont passé vraiment vite. Sans l'horloge j'aurais plutôt dit une heure. Je me demande si j'ai choisi la bonne recette sur les 480 que j'ai trouvées sur internet. Je me demande si je n'aurais pas plutôt dû prendre celle du blog intitulé « La cuisine en 99 étapes ». Je me demande si mon choix de recette s'appuyant sur la durée d'exécution était le bon, vu que, de toutes les façons, l'horloge de ma cuisine a l'air HS. Je me demande si une heure douze de cuisson ça n'est pas un peu long. Je me demande si je n'aurais pas dû annuler ce « failli » rendez-vous chez le coiffeur et m'abstenir du minuteur de l'horloge, vu qu'elle n'a pas l'air de fonctionner et que, si le plat est brûlé, même avec ma nouvelle coupe de courses, la soirée sera ratée. Je me demande si je n'ai pas oublié le sel. Je me demande si ça fera la différence si le plat est brûlé.

Un jour, elle ferme les yeux. Chi-bang, chi-bang, chi-bang. Elle l'entend, c'est son cœur. Il bat. Fort. Sa respiration serrée se calme, se déploie. Elle lâche, se laisse aller. Elle a une curieuse allure. Le sol hostile, changeant, piégeant, instable parfois par ses reliefs divers, lui remonte dans les vertèbres. Un bourdon en fond sonore fixe son attention : des voitures, la sirène d'un véhicule de secours, une cloche lointaine. Des bouts de conversations flottent, inaudibles. Une herbe frôle sa main droite, énorme. Telles sont les visions. Une odeur de pizza prend toute la place. Il y a des moments où la civilisation, même sous cette forme, lui tient à cœur. Son mollet effleure quelque chose de dur, ça la dévaste. Quelque chose de lourd, d'aigu, de métallique, tombe sur un chantier proche. Ça la vrille. Chi-bang, chi-bang, chi-bang. Le cœur a repris sa place, au centre.

© 2023 by lejeuetlaplume.com

bottom of page