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Ecriture

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L'écriture a toujours jalonné mon parcours professionnel : notes sur le travail, impressions de tournée, anecdotes recueillies pendant les créations de spectacles. Par ailleurs, j'ai toujours écrit pour mes élèves les plus jeunes. Je les fais parler sur le thème du spectacle, sur ce que ça évoque pour eux. Je collecte leurs paroles et j'écris des scènes que j'intègre au spectacle que nous montons. Je n'ai jamais vraiment considéré ça comme de l'écriture, la finalité étant le spectacle. Ce qui a vraiment été déclencheur et a fait que je commence à écrire avec la conscience de le faire, c'est un MOOC ( Massive Open Online Course) de l'université de l'Iowa, intitulé Creative Writing. Les cours, en ligne, menés par des écrivains étaient de très grande qualité. J'y ai rencontré et j'ai pu échanger avec des écrivants de plusieurs pays. Chaque cours était suivi de consignes d'écriture et le forum permettait d'échanger autour de ces travaux.

Depuis, j'écris, tout le temps, du théâtre, des nouvelles, des billets d'humeur et j'ai deux projets de roman en cours. Ci-dessous chaque onglet vous donne accès à des extraits de mon travail. Les pièces de théâtre, nouvelles et romans sont déposées à la SACD mais vous pouvez me contacter si les pièces vous intéressent.

Théâtre 

Le dragon dans le verre en cristal, théâtre, extraits Elle, rebelle. Lui, propre sur lui. Ils attendent. Chaque semaine ils attendent, lui, son père, elle, sa mère. Deux parents en perdition qui dérivent sur le radeau d'un groupe de parole pour décrocher de l'alcool. Pendant ce temps, dans le couloir salle d'attente, Elle et Lui se racontent, se confrontent et finissent par s'apprivoiser. Personnages Lui  Elle  Scène 1 Un couloir avec des chaises. Derrière eux, un mur couvert de dessins d'enfants avec une porte au centre. Elle a les cheveux rasés dans la nuque et une grande mèche rouge. A chaque scène la mèche change de couleur. Elle porte un casque audio et chante en dansant « Pull marine » d'Isabelle Adjani, assez fort et faux. J'ai touché le fond de la piscine  Dans le Petit pull marine  Tout déchiré aux coudes  Qu'j'ai pas voulu recoudre  Que tu m'avais donné  J'me sens tellement abandonnée  Y'a pas qu'au fond de la piscine  Que mes yeux sont bleu marine  Tu les avais repérés  Sans qu'il y ait un regard  Et t'avais rappliqué  Maintenant je paie l'effet retard  Avant de toucher le fond  Je descend à reculons  Lui, entre. Il l'écoute un moment avant de parler. Lui : Salut. Elle ne l'entend pas. Lui, plus fort : Salut ! Elle sursaute, vexée qu'on l'ai entendue chanter. Elle : Non mais ça ne va pas de faire peur aux gens comme ça ! T'es moitié psycho où quoi ! Lui : Juste poli. Elle : Monseigneur... Un temps, ils s'observent. Lui : C'était quoi ? Elle : … Lui : La chanson ? Elle : C'était faux. Je chante faux. Lui : Ça ne me dit pas ce que c'était. Elle : Rien, un truc familial. Du siècle dernier. Lui : … ? Elle : Le petit pull marine. Adjani. Lui : Sympa. Elle : … Lui : Les paroles... ! Sympas ! Elle : … ? Lui : Nostalgiques mais sympas. Elle : T'essaies de me draguer ou quoi ! Lui : J'essaie juste d'être poli, excuse moi... Un temps, il a pris un livre. Elle l'observe. Elle : Je suis désolée, je suis un peu nerveuse aujourd'hui. Enfin, en ce moment. Enfin en général. Lui : … Elle : Faut que j'y aille. Salut Scène 5, extrait : … Lui : Qui mériterait peut-être quelques nuances... Elle : C'est pas mon truc les nuances, t'as du remarquer. Donc, pour en revenir à ma mère, elle a continué à fréquenter Clément, qui faisait son école de potier en province. Il montait la voir régulièrement dans sa petite chambre de bonne sur la butte aux cailles. Romantique tout plein. Seulement quand il repartait, elle devait rattraper le retard. Compliqué dans ce genre d'études où tu n'as jamais assez de temps et où tu échoues si tu dors plus de cinq heures par nuit. Alors elle a fait comme les autres, elle a pris des petites pilules. Tu sais ces petits bonbons qui te font pétiller les neurones. Tu pétilles, tu pétilles et paf, tu craques. Lui : Je connais. Il y en a même qui en mangent tellement qu'ils claquent. Elle : Les faibles. Ma mère, elle tenait. Jusqu'au jour où elle s'est rendu compte qu'elle était enceinte. C'était moi. Son Clément quand il a appris ça, ni une ni deux, il a pris ses jambes à son cou et ses couilles en bandoulière et elle ne l'a plus jamais revu. Lui : Tu ne connais pas ton père ? Elle : Non merci, je n'y tiens pas. Alors ma mère avec les horaires infernaux, le boulot de dingue qui continuait à pleuvoir, les cachets et les hormones, elle a finit par exploser en vol. Ça a fait un vrai feu d'artifice dans sa tête, avec prise de la Bastille et « ça ira, ça ira, les aristocrates on les pendra ». Ça s'appelle une bouffée délirante. Sauf que là, c'était pas une bouffée, c'était un sirocco, un mistral qui a duré jusqu'à mes cinq ans. Fini les études. Lui : Et toi au milieu de tout ça ? Elle : J'ai été placée chez mes grands parents. Lui : Ma pauvre. Elle : Ça allait, ils étaient chouettes avec moi, j'ai plein de bons souvenirs. Ce qui était plus difficile, c'était ma mère. Je ne comprenais pas bien qui elle était. Elle alternait entre un semblant de vie normale dans son studio et les séjours dans les C.H.S. Lui : C.H.S ? Elle : H.P, asiles. Ça fait moins désordre de dire C.H.S. C'est moche la folie alors on essaie de la cacher derrière des sigles. Arrête de me couper, je pers le fil. Lui : Fifille ! Elle : Ta gueule ! Donc parfois je la voyais quelques minutes, parfois on me laissait passer une nuit ou deux chez elle. C'était « Maman », mais c'était très abstrait pour moi. Quelque chose que je n'arrive toujours pas à décrire. Par contre j'ai des souvenirs très précis. Mon petit lit dans son petit chez elle, par exemple. Il y avait un mobile au dessus de l'oreiller avec des petits légumes en pâte à sel de couleurs vives qu'elle avait fabriqué. Le soir on avait un rituel mignon. «  Dis bonsoir à la petite aubergine ». « Bonsoir la petite aubergine ». « Dis bonsoir à la grosse tomate ». « Bonsoir la grosse tomate » . « Oh ! Non, on a oublié le poivron. Il va être jaloux, pauvre petit poivron ». Tout était petit, la petite maison de la petite fille à sa petite maman. Et puis, ça a été mieux, elle a retrouvé du travail. Elle décorait les vitrines d'un fleuriste dans le cinquième. ... Scène 7, extraits : Elle est assise avec son portable, mèche bleue lapis lazuli. Il arrive, elle ne lève pas le nez. Lui : Tu fais la gueule ? Elle : Si on te demande tu diras que tu ne sais pas. Temps Lui : Je ne comprends pas trop, tu as quand même mis Bleu comme signal aujourd'hui ! Elle le regarde interloquée. Lui : Ta mèche , elle est bleue. Les couleurs, ça ne correspond pas à ton humeur ? Elle : Ça correspond aux chakras, Ducon. Lui : … Elle : Les chakras ! Les centres d'énergie du corps, les cercles sacrés spirituels de l'individu. Tu ne connais pas ? Lui : ... Elle : Ça vient de l'hindouisme et du yoga. On les retrouve dans le bouddhisme. Lui : … Elle : Je pars de celui du bas, le rouge et chaque semaine je change de couleur. Quand j'arrive à celui du haut, le violet, je recommence avec celui du bas. Lui : … ? Elle : Celui du bas ! Le rouge ! Faut suivre ! Lui : Excuse-moi, je ne connais pas tout ça. Je ne comprends pas trop. C'est sensé faire quoi ? Elle : C'est pour l'équilibre, la ré-harmonisation. Parfois si je sens que j'ai besoin, je garde la même couleur une semaine de plus. Parfois, si ça déconne dans ma vie, je ne respecte pas l'ordre. Lui : Et ça harmonise quoi ? Elle : Ben dis donc, Moncon, t'es long à la comprenette. Lui : Est-ce que tu pourrais juste arrêter de m'appeler Ducon ou Moncon. … Scène 9, extraits : … Quand il arrive, mèche violette, elle regarde les dessins d'enfants. Elle : C'est marrant, tous ces dessins. Si tu les regardes sans penser que ce sont des gosses d'alcooliques qui les ont dessinés, ils sont sympas. Lui : Attention, je sens une drôle de façon pas très politiquement correcte se profiler à l'horizon ! Elle : Ben quoi c'est vrai ! Ils sont bourrés des belles couleurs. Il y en a des gores, surtout les noirs et blancs, mais les autres ils sont chouettes. Il en a qui ont des styles marrants et très personnels. Il y a des mangas aussi. Ensemble avec un regard entendu : Mais... Elle : Mais... si tu replaces ça dans le contexte et que tu essaies de lire entre les dessins, c'est carrément flippant. Grave... Ça me donne la gerbe, même. Lui : Tu as trop d'imagination, Fifille, ça te perdra. Elle : Parce que toi, quand tu regardes ce dessin avec le bonhomme en short rouge et la dame en robe verte qui portent des gants de boxe entourés de cœurs et de petites bouteilles de toutes les couleurs qui flottent autours d'eux, tu ne trouve pas ça glauque peut-être ?! Lui : Si et c'est pour ça que je ne les regarde jamais. Parle-moi du comandant. Elle : … ? Lui : Le comandant de ta mère. T'avais pas fini l'histoire. Elle : Ah oui ! Tu es sûr que tu veux la suite? C'est long. Lui : On a le temps. ...

Le Trait, ou pourquoi on ne peux pas laisser son pays se faire découper en plusieurs morceaux. Texte de théâtre Ado Note d'intention : Ça pourrait être ici et c'est peut-être ailleurs. Un endroit calme où la vie va. Des ouvriers arrivent et prennent des mesures, s'en vont, et quand ils reviennent, ils tracent un trait. Trait protégé par des gardes, gardes envoyés par « là-haut ». Les villageois ne peuvent plus circuler. Ils transgressent et vont demander des explications « là-haut », au palais du grand décideur. Ils errent dans les dédales, s'adressent aux différents bureaux. Ils essaient d'obtenir une réponse à la question : « pourquoi vouloir couper notre pays en deux ? » Une secrétaire plus humaine que les murs glacials du palais cherchera à les éclairer en questionnant le tyran. Cette pièce chorale est une fable sur l'abus de pouvoir. Les personnages : Certains personnages sont précis, ont un caractère défini : la secrétaire, le grand décideur, les responsables des différents bureaux, les traceurs. Les gardes, les villageois et les statisticiens ont été créés pour pouvoir être répartis entre plusieurs personnes dans le cas d'une distribution plus nombreuse. Distribution : Les villageois : BEN LUIGI ZINA LIZA PIETRO TINO LEILA Les traceurs : LE TRACEUR QUI A EU SON BTS LE TRACEUR ANCIEN PROF LE SOUS CHEF LIGNE DROITE LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS GARDE 1 GARDE 2 GARDE 3 GARDE 4 SECRETAIRE DU GRAND DECIDEUR, HÉLOÏSE RESPONSABLE AUX ÉCRITURES DU CODE RESPONSABLE AU SERVICE DES LOIS RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION STATISTICIEN 1 STATISTICIEN 2 STATISTICIEN 3 STATISTICIEN 4 LE GRAND DÉCIDEUR Au début de la pièce un écran avec des photos ou des vidéos du grand décideur accompagnées de phrase du type : « LE GRAND DÉCIDEUR vous souhaite une bonne journée. » « Je suis là pour vous, et vous, où êtes-vous? » « Avez-vous pensé à manger des produits cultivés par nos paysans aujourd'hui ? » « N'oubliez pas d'acheter car nos usines produisent pour vous. » « LE GRAND DÉCIDEUR vous souhaite une nuit sereine »... Ces photos, vidéos et phrases peuvent réapparaissent durant la pièce, au moment où le grand décideur fait son discours par exemple. Scène 1 : Nous sommes au centre d'un village. Des gens vaquent à leurs occupations. Une personne avec une panière : Beaux petits pains, qui veut de mes petits pains chauds ! Pendant ces déambulations et passages, les traceurs arrivent, et, au milieu des gens qui circulent, se mettent à prendre des mesures. Au début les villageois ne les repèrent pas, mais au bout d'un moment ils sont intrigués. Certains villageois s'arrêtent, certains posent des questions. BEN : Vous faites quoi là ?... LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Une étude. BEN : Avec des équerres ? LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Une étude sur le terrain . LE TRACEUR ANCIEN PROF : De terrain, on dit de terrain ! LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Ah bon ! Et bien si c'est ça qu'on dit, t'as qu'à le dire toi même !!! LE TRACEUR ANCIEN PROF : C'est ce que je viens de faire. Je viens de le dire ! LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Alors tout va bien ! ZINA : Pourquoi vous faites une étude ? BEN : Notre terrain on le connaît, pas besoin de l'étudier. PIETRO : C'est vrai, vous allez à la mairie et vous le verrez sur le cadastre ! LUIGI : Qui est-ce qui vous envoie ? LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Le ministère. LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Ne vous inquiétez pas, de toute façon on a fini pour aujourd'hui. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : On s'en va dans quelques minutes ! Ils récupèrent leurs instruments et sortent. La vie reprend alors son cours, les gens recommencent à passer de cour à jardin et de jardin à cour . … PIETRO : Vous avez peut-être raison, c'est jamais une bonne nouvelle quand quelqu'un vient prendre des mesures sur le terrain. PIETRO : Surtout qu'ils n'ont rien voulu dire. LUIGI : C'est vrai ! Pas ça ! LISA : En même temps, ils n'étaient pas méchants ! LUIGI : Mais pas très causants non plus! Pas un mot du projet. BEN : Qu'est-ce qu'ils sont en train de nous préparer.  ZINA : Une autoroute ! BEN  : Où une centrale nucléaire. C'est possible, une centrale nucléaire ... LISA : Ne dramatisez pas trop quand même. On verra bien. LUIGI : Quand on verra il sera trop tard pour agir ! LISA : Vous êtes drôle, agir... Et pour faire quoi ? BEN : Liza a raison, ça ne sert à rien de s'inquiéter, il faut rentrer, la nuit ne va pas tarder à arriver. A la fin la lumière baisse. Scène 3, extraits : Très chorégraphiée. Les traceurs prennent des mesures, ils ont des outils et ils ont aussi des lampes de poche. C'est une espèce de ballet de lumière. A la fin les quatre traceurs disent : LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Bon, je pense qu'on a fini, on va pouvoir y aller. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : On a eu raison de revenir cette nuit, on est quand même plus tranquilles . LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est normal, la nuit, tous les chats sont gris. LE TRACEUR ANCIEN PROF : Et puis nous avons été très efficaces, trois heures pile, montre en main. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est normal, la nuit porte conseil ! LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : C'était important de terminer les mesures, comme ça, demain, nous pourrons tracer. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : La nuit va être courte ! LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Nous devons terminer le travail rapidement, ordres d'en haut. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Oh, alors... Si ça vient d'en haut ! LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Bon c'est fini les pipelettes, on peut aller dormir une heure ou deux avant que le chant du coq n'éveille les bruyères ? Le traceur ancien prof : La nuit te rend poète, dis donc ! … Scène 4, extraits : … TINO : Pourquoi vous tracez ce trait ? LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est pour délimiter l'Est et l'Ouest . LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : A partir de maintenant, vous n'allez plus pouvoir franchir cette limite. BEN : Une limite et en quel honneur ? Comment on fera, nous, maintenant pour aller de l'autre côté ? LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Écoutez ! Ça, c'est pas notre problème. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Nous, on y peut rien. LE TRACEUR ANCIEN PROF : On obéit juste aux ordres. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : On nous a demandé de faire un trait, on fait un trait. ZINA : On en a vu d'autres dans l'histoire, à qui on a donné des ordres et qui ont obéis sans réfléchir. LEILA : Certains s'en sont mordus les doigts. LE TRACEUR ANCIEN PROF : Pas tous ! BEN : Ça ne vous questionne pas, de devoir faire ce trait ! LISA : Avez-vous réfléchi aux conséquences pour nous ? LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Et bien si, figurez-vous, on en discute depuis qu'on a été embauchés. LE TRACEUR ANCIEN PROF : Depuis qu'ils ont créé le ministère du trait. LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : On s'est quand même posé quelques questions, qu'est-ce que vous croyez ! LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : C'est normal. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : C'est humain. LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : Mais on en est arrivé à la conclusion qu'il faut bien qu'on gagne notre vie. LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : C'est malheureux, je vous l'accorde, mais... LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Chacun voit midi à sa porte !  LE SOUS CHEF LIGNE DROITE : Ecoutez, je ne devrais pas vous dire ça, mais moi, je vais vous donner un conseil. Vous devriez aller poser vos questions directement au grand décideur. LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Bien vu, il vaut mieux s'adresser au bon dieu qu'à ses saints. BEN : Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... LEILA : C'est vous qui faites une belle bande de saints, tiens !... LE TRACEUR QUI A EU SON BTS : Nous ce qu'on en dit ! LE TRACEUR QUI TRAVAILLAIT SUR DES TAS : C'est juste un conseil. Tant qu'il est encore temps, allez-y. Les traceurs sortent, des villageois se positionnent de chaque coté de la frontière et se regardent. Scène 5, extraits : Deux villageois arrivent pour effacer le trait avec une serpillière mais des gardes apparaissent immédiatement. GARDE 1 : Dites donc vous, vous croyez qu'on ne vous a pas vu ? LUIGI : Vu quoi ? GARDE 2 : Vous essayez d'effacer ce trait avec votre serpillière. PIETRO : Je ne fais que laver, tous les Lundis on lave ! Alors je lave ! GARDE 1 : Il nous prend pour des idiots, je pense. GARDE 3 : Arrête de penser et sévis ! GARDE 4: A partir d'aujourd'hui ceux de l'Est restent à l' Est et ceux de l'Ouest, à l'Ouest c'est clair ? ! GARDE 1 : Toute transgression sera punie d'amende, puis d'emprisonnement si récidive. LEILA : On aimerait bien savoir pourquoi ! GARDE 4 : Il n'y a pas de pourquoi, c'est comme ça ! LUIGI: Oui mais on aimerait comprendre. PIETRO : C'est vrai, j'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi, aujourd'hui, lundi, je n'aurais pas le droit de passer la serpillère. GARDE 1 : Chef, il nous prend encore pour des idiots ! GARDE 3 : C'est nouveau ça ! On doit expliquer les décisions de ceux qui nous gouvernent maintenant. Ecoute moi bien, tu prends ta serpillère et tu disparais. GARDE 4 : Et estime toi content qu'on ne te boucle pas. … scène , extraits : Déambulation, ils arrivent et s'adressent à un-e deuxième responsable : LEÏLA : Bonjour madame, nous sommes bien au bureau des espaces de circulation ? RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION : Mais absolument que puis-je faire pour vous ? LISA : Nous aimerions savoir pourquoi le grand décideur a voulu couper notre village en deux. RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION : Et bien... Parce que c'est inscrit dans le code j'imagine. PIETRO : Oui, mais la raison qui a amené le grand décideur à prendre cette décision ? TINO : Au tout départ ?  RESPONSABLE DES ESPACES DE CIRCULATION : Nous n'avons pas accès à ce type d'information dans nos services, je suis désolée . Il va falloir que vous vous adressiez au service des lois, premier bureau à gauche. Troisième bureau, troisième responsable : ZINA : Bonjour Monsieur. Alors voilà... Le grand décideur a fait tracer un trait qui sépare notre village en deux, et nous aurions aimé savoir pourquoi. RESPONSABLE DU SERVICE DES LOIS : Parce que vous pensez peut-être que c'est moi qui fait les lois et qui décide de quoi et de qui ! Et bien malheureusement non, autrement j'aurais fait une lois permettant à tous les responsables du grand bureau de prendre leur retraite à trente cinq ans, croyez moi ! Ou quelques semaines de vacances supplémentaires... ZINA : … RESPONSABLE DU SERVICE DES LOIS : Mais ne faites donc pas cette tête, je plaisantais, et mieux vaut plaisanter pour tenir ici, je vous le dit ! Allez... J'ai pitié de vous... Adressez vous donc à Héloise, la secrétaire du grand décideur.

Fallait qu'elles le fassent Personnages Le père la mère Les filles : Simonette Le fantôme de Josette Le fantôme de Suzanne Simonette : Je m'appelle Simonette. Je suis la cadette. J'ai quatre sœurs. Je suis née dans le Marais à côté de Machecoul. Mes parents possèdent une petite ferme et un peu de terre, mais on n'en tire pas grand-chose. Nous sommes pauvres. Heureusement ,nous avons une chèvre et quelques poules. Le père : L'hiver, ça pond pas ces petites saloperies, alors comme ça coûte à nourrir, on en tue quelques-unes, pour les anniversaires et les fêtes religieuses. La mère : On vit dans la bourine de mon mari. Il en a hérité à la mort de son père. Le sol est en terre crue mais ça se nettoie bien. Il y a la salle avec la cheminée et une chambre où nous dormons tous, lui et moi dans un lit, mes filles dans l'autre. Simonette : Ce sont des vrais lits en bois sculpté! Avec des matelas en drap qu'on remplit de foin nouveau chaque été. On a de beaux meubles. Le père de ma mère les lui a donnés pour son mariage, un buffet, deux lits et une armoire. Il était menuisier. La mère : On est pauvres. Dans le marais, il n'y a pas de quoi se chauffer. Il n'y a pas d'arbres. Et qui dit « Pas d'arbres », dit « Pas de bois » ! On n'a pas de quoi en acheter, alors l'été on va ramasser des bouses dans les champs et on les fait sécher au soleil. Simonette : Ca fume les bouses, ça chauffe mal. Le père : J'ai honte de pas pouvoir donner mieux à mes filles, c'est pour ça que j'ai commencé à boire. Pour ça. Ça vous réchauffe le moral. La mère : J'aurais pas dû lui reprocher notre misère. C'est à ce moment là qu'il est devenu sombre. Il s'est mis à aller au bistrot. Au début c'était après la messe et puis c'est venu aussi les jours de marché. Et maintenant c'est dès qu'il peut. Il rentre saoul, plus souvent quà son tour. Simonette : Je ne saurais pas dire quand ça a commencé. Le mal a pris par ma sœur aînée, Josette, vers ses quinze ans. Le fantôme de Josette : C'était très exactement pour Pâques, l'année de mes quinze ans. Je tirais de l'eau au puits quand je l'ai vu rentrer du bourg avec son costume des dimanches, et d'un coup, j'ai senti sa présence dans mon dos. Ça m'a fait sursauter, alors j'ai ri. Mais lui, il n'a pas ri. Il m'a plaquée contre la margelle. Je pouvais plus bouger. Je sentais son haleine pleine de vin dans mon cou, sa respiration courte, le poids de son corps. J'ai eu honte et je me suis sauvée. J'entends encore le bruit du seau quand il a frappé l'eau. Simonette : Elle est devenue ombrageuse, comme ça, unbeau matin. Elle ne riait plus, elle ne parlait plus, ni aux parents, ni à nous. Le fantôme de Josette : Il m'a prise dans la grange la première fois. Je me suis débattue mais il a continué, avec toute sa force, comme si c'était normal, comme si je ne pleurais pas, comme si ça ne comptait pas. Il a rien dit, n'a pas menacé. Il savait que je ne dirai rien. Est-ce qu'on dit ce qui se dit pas ? ? Simonette : Mes sœur et moi, nous avions beau essayer de lui changer les idées, son désespoir gagnait, s'étirait autour d'elle comme une ombre. Le fantôme de Josette : J'avais beau essayer de l'éviter, de rester avec mes sœurs, il y avait toujours un moment où ma vigilance se relâchait. Pas la sienne. Il me traquait, comme une bête. Dès qu'il pouvait, c'était ma fête. Il était à l'affût, discret comme un chat, malin comme un renard. Personne ne voyait rien. Simonette : Elle avait quinze ans quand elle a sauté, quinze pauvres petites années. Dieu qu'elle me manque. Le fantôme de Josette : Fatalement je suis tombée enceinte. Je l'ai caché comme j'ai pu et puis je le lui ai avoué. Il s'est mis dans une colère noire et il m'a dit qu'il n'y aurait pas de bâtard dans la famille et qu'il me le ferait passer à coup de pied dans le ventre et il m'a battue comme plâtre. Je n'ai rien dit, il n'y avait rien à dire. J'ai sauté. J'ai vu la maçonnerie et les pierres défiler, et quand j'ai senti l'impact de l'eau dure, je me suis laissée aller. Loin au fond, loin dans le noir, loin de lui. Le père : J'suis pas un monstre, j'les aime mes filles. Sûr que j'aurais aimé avoir un gars, mais c'est le bon dieu qui décide. Quand j'bois, j'perds le jugement. J'sais plus ce que je fais. Le fantôme de Josette : On les traite mal les suicidés. On les jette dans un trou, le plus rapidement possible. Ils apportent avec eux la médisance et les commérages. Ils ont dit que j'étais tombée en montant sur le puits pour débloquer la poulie qui s'était coincée. Tout le monde pleurait à la sépulture. Si jeune, un accident si bête. La mère : Je ne comprends pas comment elle a pu tomber. Et moi qui étais dans la cuisine et qui ai rien vu, rien entendu. Simonette : Ensuite, il y a eu Mariette. Quelques mois après l'enterrement, d'un jour à l'autre, elle a perdu la voix. Complètement. La tête aussi. Le fantôme de Josette : Il la battait par-devant et dès qu'il pouvait, loin des regards, il abusait d'elle. Elle ne réagissait pas. Elle ne se débattait pas. Simonette : Elle traînait dans les champs, le regard vague. Elle sortait en chemise, à moitié nue. Parfois elle fredonnait, l'air absent. On a essayé de la raisonner Suzanne et moi, de la faire rire, mais elle était ailleurs. Elle ne me faisait pas peur, elle me glaçait. Mon père la secouait en criant pour la réveiller. En vain. La mère : Dans le village on a commencé à chuchoter dans mon dos, les conversations s'arrêtaient à mon approche. Il ne fait jamais bon avoir une fille qui folleille. Le fantôme de Josette : La première fois, c'était dans la soue cochon. Il faisait noir. Il s'est approché d'elle. J'avais beau hurler, « Cours, enfuies toi malheureuse ! Notre père est un ogre ! Sauve toi ». Elle ne pouvait pas m'entendre. J'étais impuissante, je ne pouvais rien faire. Je regardais ça d'en haut sans pouvoir l'aider. Ça doit être ça, l'enfer des suicidés. Quand il l'a renversée, elle s'est arrêtée, comme une horloge. Elle est restée figée, les yeux grands ouverts à tout jamais sur l'horreur. Simonette : Il y avait quelque chose d'abyssal dans son regard, qu'on ne s'expliquait pas, ma sœur et moi. Le fantôme de Josette : Chaque fois qu'il la prenait, elle le regardait avec ses grands yeux remplis d'incompréhension. Ca lui coupait son élan, alors, de rage, il la battait. Le père : J'voyais bien que la Mariette, elle avait perdu la tête. J'supportais pas c'que je voyais dans son regard... Alors j'la battais pour qu'elle arrête, qu'elle dise quelque chose. J'allais à confesse aussi. J'jurais au bon Dieu que j'regrettais et que si elle redevenait comme avant, j'boirais plus. J'les aime mes filles. C'est quand j'bois, j'ai le vin mauvais. Simonette : Un matin, en allant chercher de l'eau, je l'ai trouvé au fond du puit. Pendant la veillée j'ai entendu deux vieilles qui disait « Ca vient de son côté à lui ! Sa sœur aussi, elle a sauté ! Dans le même puits ! Dans cette famille, c'est plus fort qu'elles, il faut qu'elles le fassent ! » Le père : Ma sœur aussi, elle a sauté, et j'sais bien, moi, pourquoi qu'elle a sauté. C'est elle qui m'a élevé. Ma mère est morte à ma naissance. C'est ma sœur qui a pris le relais du haut de ses sept ans. Notre père, il trimait dans les fermes alentours. Depuis ma naissance, pour tuer sa peine, il buvait. Il buvait jusqu'à s'en assommer. Oh, elle était pas commode ma sœur, et elle savait bien me frotter les jambes avec des brassées d'orties quand j'faisais le malin, mais c'était mon soleil ma petite mère. La mère : On peut quand même pas le boucher, ce maudit puit. Il faut bien qu'on ait de l'eau. Le père : Un jour j'ai entendu pleurer dans la cave. C'était ma sœur. Elle disait « Non, je t'en pris. », et elle pleurait. Je suis descendu et je l'ai vue. Elle était couchée sur le sol, en plein milieu, les jambes nues. Le père, il était dans le coin vers les bouteilles. Il remontait son pantalon. C'est là que j'ai compris. C'est pas quand elle s'est jetée dans le puits que mon monde s'est écroulé, c'est ce jour-là, dans la cave. Le fantôme de Suzanne : Moi aussi j'ai sauté. Ca faisait un bon moment que j'avais compris pour Josette et pour Mariette. Il n'y a bien que notre mère qui était aveugle et qui ne voulait rien voir. Quand Mariette a sauté, je savais que ça allait être mon tour, et que je ne le supporterais pas. J'ai tout fait pour l'éviter. Je voulais qu'il crève de rage et de dépit de ne pas m'avoir eue. Je voulais qu'il crève tout court. Mais à treize ans qu'est-ce qu'on peut faire ? Toutes les nuits j'y pensais. Je lui inventais mille morts atroces. Je l'attirais dans un étier et je le regardais s'enfoncer dans la vase. Il me suppliait de l'aider et moi, je lui répétais, en boucle, le nom de mes deux sœurs. Je voyais la boue emplir sa bouche et ses yeux d'ivrogne et je lui criais : « C'est pour Josette et pour Mariette, c'est tout ce que tu mérites ». Ou alors, je lui demandais de m'emmener à la chasse et je lui tirais dans le dos. Il agonisait lentement en me regardant et moi je lui chuchotais à l'oreille : « Souviens-toi de mes sœurs, Josette et Mariette », et ensuite, je l'abattais avec une deuxième balle. Je le poussais aussi du grenier à foin et je l'achevais avec une fourche avant de le dépecer et de le donner à manger aux cochons. Parce que c'est dans la soue que je l'avais surpris avec Mariette. Mais rien de tout cela ne s'est passé. Simonette : Ma mère et moi, nous étions parties rendre visite à une voisine qui venait d'accoucher, mais comme elle avait oublié la brassière qu'elle avait tricotée pour le petit, je suis retourné la chercher. En arrivant dans la cours, j'ai entendu des cris et j'ai vu Suzanne sortir en trombe de la maison en direction du puits. Mon père est sorti après elle, en tenant son pantalon. La mère : Qu'est-ce que je pouvais faire ? A qui j'aurais pu le dire. Qui m'aurait aidé. Qui nous aurait aidé. Inutile de me jeter la pierre, je croule déjà sous les dalles des tombes de mes filles. De mes petites que j'ai pas su protéger. Les remords s'enfoncent dans ma gorge chaque nuit et m'étouffent. Ma punition c'est sa présence, chaque jour, à mes côtés. Ma croix je la porte tous les jours que je partage avec lui. Avec l'aide du curé j'ai placé Simonette à Nantes chez des bourgeois. « Monsieur le curé, je lui ai dit, vous saviez vous aussi. Depuis toujours, vous saviez ». Il a baissé la tête. Il savait. Depuis toujours. C'est une bonne place. Elle y est bien. Je vais la voir en train le dimanche. Simonette : Il n'a pas pu la rattraper et moi je n'ai pas eu le temps de l'appeler que déjà elle avait sauté. Elle s'est brisé le cou en tombant. Mon père a remonté son pantalon et il est venu vers moi. Il m'a attrapé le menton, il m'a regardé et il est allé chercher un crochet pour sortir Suzanne du puit. Après toutes ces années, je venais de comprendre. L'histoire des filles de cette famille qui se jetaient toutes dans le puit m'a été racontée par ma voisine, Clémentine. J'ai inventé tout le reste, j'ai brodé, le contexte, le pourquoi et le comment. « C'était plus fort qu'elles, fallait qu'elles le fasse », disait Clémentine. Toute sa vie, elle avait tenu un café dans le Pays de Retz et connaissait de nombreuses histoires, dont celle de Bressuire.

Nouvelles 

Vous qui êtes instit... Le marché avec ses odeurs, ses couleurs, ses bruits de ferrailles, ses frissons pleins de rosée et ses zénith accablants. Le marché, son ambiance, ses spécialités régionales, ses producteurs locaux, ses faux vendeurs du terroir que l'on repère grâce à leurs bérets verts sur le coin de l'oreille. Tous matinaux, tous souriants, ils vous vendent avec une émouvante énergie, le rêve de leur authentique coin de France, l'illusion de la trouvaille ou la véritable recette locale. J'ai fait ma liste la veille, je me lève tôt pour ne pas faire la queue et avoir le temps de musarder. Ah ! Tiens ! Trop mignon. Des porte-clés Pokémon en crochet. Je farfouille, il y a même un Tigrou, et une Hello Kitty. Vraiment choux. Cadeaux idéaux pour mes neveux de vingt ans, me dis-je. La dame s'approche, pas peu fière, pour me dévoiler, en magicienne accomplie et sûre de son effet, le contenu d'une de ses boules Poké balls en points de chaînette.  Dracaufeu ! Je viens de le terminer ! Il est confondant de minutie et de véracité. Elle croise mon œil qui pétille, reconnais en moi une consoeur de DIY*, et s'empresse de défaire plusieurs autres sphères en crochet rouge et blanc fermées par un bouton blanc à l'exacte proportion. Chacune abrite un Pokémon différent. J'en ai plein d'autres, vous pouvez les ouvrir. J'ai acheté le Pokédex c'est la bible, j'y prends tous mes modèles ! Là vous avez Pikachu bien sûr, un classique. J'en suis à mon vingtième, il part comme des petits pains... J'ai un Reptincel, un de mes préférés... Mince alors... Mais où qu'il est donc... Je suis sûre qu'il est là, je l'ai vu passer tout à l'heure ! C'est l'évolution de Salamèche, vous l'avez pas vu ? Je vous l'ai pas déjà ouvert ? Vous êtes sûre ? Il est bordeaux avec des flammes oranges au bout de la queue ? Oh ! Ben ça c'est fort... C'est plus fort que de jouer au bouchon comme disait ma grand mère ! Ya pas cinq minutes que j'l'avais devant les yeux. Pendant qu'elle cherche, mon œil s'égare. Installés avec soin, un cortège de doudous multicolores force la porte de la nostalgie de l'enfance trop tôt filée et me rappelle des souvenirs de livres ou de films presque appris par cœur avec mes enfants. Des petites souris ravissantes encerclent un Tyrannosaure rex, l'âne Trotto et Winnie l'ourson discutent avec une famille entière de Télétubies. En bout du rang, disposés en cercle, Yoda, Dark Maul et R2D2 semblent tenir conseil. En plus de ses talents de crocheteuse, cette dame à indéniablement le sens de la mise en scène. Constatant avec plaisir mon intérêt croissant, elle sort une autre bannette de sous la table. Je manque de m'évanouir ! La collection Disney ! Blanche neige, Porcinet, Elliot le dragon, la rousse Rebelle, Stitch, et, merveille de merveille de détails, Spiderman ! Je les fais à l'aiguille ou au crochet. Les porte-clés c'est plutôt au crochet et les plus gros à l'aiguille mais y a pas vraiment de règle. C'est comme je le sens, à l'instinct, j'improvise !  Je commence juste à me dire qu'elle doit y passer sa vie quand arrive son mari. En le voyant, ça se confirme, elle y passe sa vie. Il arrive en chaloupant doucement mais sûrement du café en haut de la rue. A 8h30 il est déjà fort gris. Pour sûr, c'est pas un Salamèche... Il ne donne pas l'impression qu'une quelconque flamme orange puisse lui sortir d'où que ce soit. Pour éviter de me laisser envahir dès le matin par les pensées hyper réalistes sur l'alcoolisme et ses ravages, qui arrivent à grandes enjambées, je me concentre sur le SOS fantôme qu'elle me tend. Il est fluo et ça dure dans le temps le fluo ! J'en ai mis un dans ma chambre il y a six mois et il brille encore dans la nuit . Ça me rassure qu'elle sache enchanter sa vie. Si certains boivent pour oublier, elle, elle tricote. Elle est formidable. Mais vous devez y passer un temps fou ! Oh là oui ! En plus du reste ! Son mari s'invite dans la conversation. Eh oh ! Moi je fais la vaisselle ! La vaisselle coince sérieux chez la dame, mais il enchaîne sans sourciller. La vaisselle peut-être pas si souvent que ça, mais c'est moi qui encaisse et qui porte les caisses. Stupéfié par la rime riche et matinale qu'il vient de générer, comme un gros pet, sans même l'avoir voulue, monsieur suspend son vol. Et moi, j'en profite pour retourner à la petite dame tricoteuse. Je vous prendrai bien un diplodocus pour ma classe, je cherche une mascotte et... Ça le défige. Vous êtes instit ! Ah ! Très bien ! Alors vous allez peut-être pouvoir m'expliquer... Quand ça commence comme ça, ça fleure l'embrouille. Ça annonce les certitudes, les déploiements de frustrations accompagnés par leurs kyrielles de récriminations en tout genre. Néanmoins, même si je sais d'expérience que ça risque de me pourrir ma journée, ma curiosité l'emporte et je remets une pièce dans le jukebox. Oh ! Je ne sais pas vous savez... Mais dites toujours ! Ben... Disons que je me demande bien... C'est quoi la raison... Enfin, pourquoi qu'ils ont décidé à l'éducation nationale, qu'ils allaient emmener les enfants voir des défilés de drague- gouines. Un vide intersidéral s'installe avant de m'aspirer dans son vortex. Je me sens comme devant la poupée qui pleure du Noël de mes cinq ans, sur le ventre duquel j'avais appuyé un peu trop fort. Deux jets puissants avaient jaillis du coin de ses grands yeux étranges, et j'avais fondu en larmes. Cette fois, c'est le rire qui cherche sa route. Un rire des origines, un rire puissant, un rire qui vous secoue le tréfonds et transmute la bêtise. Je résiste un instant mais en vain, il emporte tout sur son passage. Je n'ai pas d'autre option que de me jeter la tête la première dans mon mouchoir dans un bruit de trompette d'apocalypse. Je tente pathétiquement de camoufler le hurlement de rire, mêlé de désespoir qui s'échappe, indomptable, de mon impuissante personne mais je n'y arrive pas. Je ne m'y ferai jamais. La bêtise me désarçonne. Le surréalisme réactionnaire m'anesthésie. La dernière fois c'était au moment de la manif pour tous. Nous regardions le soleil se coucher, mon voisin et moi. Les chevilles dans l'eau, en maillot de bain, nous devisions. Je jouais à creuser le sable avec mes orteils. Nous échangions les potins du quartier, émettions mollement quelques pensées profondes. Une jolie fin d'après midi. Dis-moi, avait-il alors proféré au détours d'un silence, toi qui es instit, tu es au courant j'imagine, que dans les manuels scolaires, ils vont apprendre aux enfants à se masturber dès la maternelle ! Après avoir essayé vainement de m'enfouir dans le sable mouillé par les doigts de pied. Je m'étais ensuite ravisée et avais décidé de réduire le sombre abruti en tout petit Bernard l'ermite avant de m'enfuir vers la seule option de survie envisageable, la douche froide de plage, non sans avoir auparavant sauvagement fourré ce minuscule invertébré dans une coquille trop petite pour lui. Après avoir constaté à quel point la pensée est susceptible de s'égarer en situation de stress intense, je quitte la plage et retourne dans mon mouchoir où j'essaie de reprendre mes esprits. J'y respire profondément, récupère doucement mes moyens et ressors enfin de celui-ci sous les regard éberlués de la tricoteuse talentueuse et de son mari. Je les regarde, un peu hagarde de mes yeux misérablement rougis par le rire réprimé. Deux options s'offrent à moi, payer poliment et partir, où faire œuvre de pédagogie. Je sais qu'en général raisonner l'andouille ne sert à rien mais j'hésite. Langoureuse, une odeur de croissant s'échappant de la boulangerie me frôle avant d'aller se perdre sur la terrasse du café attenant. Je regarde le monsieur qui semble attendre une réaction étayée de ma part, puis je regarde ma montre. Huit heure quarante cinq. J'oscille encore un instant entre un « tiens vous croyez, un défilé, ça m'étonne ! » peu susceptible de bouger ses curseurs alcoolisés, ou, finir mes achats avant de me diriger vers le café qui me fait de l'œil. La dame, elle, peu perturbée par les interrogations sociétales de son mari, attend patiemment pour savoir si j'opte pour Salamèche ou pour son évolution à queue de feu. Va pour les flammes et la fureur. Comme je suis sa première cliente, elle insiste pour m'offrir un sac en tissu, « c'est moi qui l'ai fait dans une couette trouée ». Après y avoir glissé Reptincel, Hello Kitty et Yoda – qui aurait certainement eu, lui, le courage et l'habileté requise pour mener à bien la discussion sur les « drague -gouines » –, elle tire sur le lien qui étrangle dramatiquement la tête du prince avant que j'ai le temps de l'identifier et réduit le haut de la robe de princesse. Le trou de la couette devait se situer au niveau de la tête de la belle. Je ne saurai jamais s'il s'agissait de la Belle au bois dormant, de la Reine des neiges ou d'Esmeralda . Bien installée sur la terrasse du bar de la place du marché, je regarde la matinée. Malgré le soleil, elle me paraît un petit peu plus collante, un petit peu plus agaçante qu'elle ne le devrait. * DIY : De l'américain Do It Yourself, bricolage, fait maison.

Le jeune homme aux dreads Dimanche midi trente. Je n'ai pas vu passé l'heure et maintenant, je fonce entre les rayons de la supérette. C'est l'heure de la fermeture, l'ambiance se dilate, les employés se regroupent, ça rigole, ça sent la détente. Quelques retardataires se pensant invisibles, s'éternisent dans le magasin, volent entre les rayons leurs dernières minutes de consommation hebdomadaire puis se hâtent vers les caisses. Je les rejoins. Seules deux caisses restent ouvertes. Catherine ou le jeune homme ? Catherine je la connais de l'école. Mon grand et sa fille étaient dans la même classe. On a partagé quelques jeux de massacre à la fête de l'école, quelques sittings lors de la menace de fermeture d'une des classes de CP. Quand il n'y a pas trop de monde en caisse, on papote. « Et ta fille ? »,« et ton fils ?». «Pas trop de monde ? ». «Pas trop. Il faudrait que ça arrive un peu quand même». Elle travaille toujours le dimanche. Mais aujourd'hui, il y a la queue chez Catherine et je choisis le jeune homme. Ça me changera. Le client qui me précède prend son temps. Il organise son sac du lourd au léger et du sec au froid. Il cale la brique, protège les œufs et les bananes. Il s'applique. Le caissier lui, il s'en fout, il flotte, sourit, soupire, et d'un geste ample retire le chouchou qui entrave ses somptueuses dreads, puis il secoue négligemment sa chevelure de droite à gauche puis de gauche à droite. Ce mouvement d'une sensualité certaine, mais un tant soit peu cliché, ne m'est sûrement pas destiné car son regard me traverse pour aller se rêver sur le rayonnage des petits pois et des flageolets. Le client le regarde dubitatif. Il voudrait bien payer son grand sac de course tout bien rangé, mais le caissier agite toujours ses dreads comme des algues dans l'onde. Il s'appelle Tom. C'est ce que révèle l'étiquette peu discrète accrochée sur son polo, juste en dessous de la broderie Ralph Lauren. C'est alors que j'avise Juliette. Positionnée derrière les caisses. Son nom à elle aussi est exposé sur son t-shirt. Languissamment appuyée contre le poteau métallique qui soutient les vitres de la devanture, comme hypnotisée, elle suit le mouvement cheveulesque de son Samson de supérette. Il fait beau, il fait chaud, c'est l'été, chabadabada. Le doigt posé sur le bouton de fermeture du rideau de fer, bercé par le ronron assourdissant du moteur, elle n'a d'yeux que pour la toison du jeune homme. Conscient qu'elle le regarde, il continue sans se lasser son grand numéro capillaire. Dans le sac bien rangé du monsieur, le froid commence à tiédir. Il toussote plusieurs fois pour attirer l'attention de Ralph Lauren sur ses courses, mais, à cause de la climatisation ou de l'humidité ambiante, il finit par vraiment tousser puis par s'étouffer. Il reprend son souffle péniblement et darde son regard sur la nuque de Tom avec une détermination qui force le respect. Il hésite quelques secondes puis, royal, lève le bras pour lui tapoter l'épaule. Ravivé par ce signal tactile, chouchou, comme une feuille en automne, finit par retomber doucement sur le carrelage du magasin. Son regard quitte à regret l'horizon des gondoles et se pose, amoureux, sur le monsieur en lui indiquant d'un geste gracieux l'engin à cartes multiples.«72 € 95 s'il vous plaît.». C'est alors que le ronron du rideau de fer amorce une variante sonore qui ne présage rien de bon. Catherine, alertée, se retourne, analyse la situation, et crie, « stop !». Juliette, le doigt sur la commande continue à papillonner du cil en souriant à Tom, ou plus exactement à la toison arrière de Tom. Celui-ci, l'œil encore un peu vitreux d'amour toujours, semble avoir perçu le caractère d'urgence dans l'appel Catherine et il essaie courageusement d'embrasser la situation dans sa globalité. Fidèle à sa caisse comme un capitaine à son bateau qui sombre, celle-ci continue à crier « stop » sans beaucoup de succès. Soudain, Tom comprend et tourne brusquement la tête en direction du rideau de fer. Ses dreads fouettent l'air. Le bruit se fait craquement et c'est là qu'intervient Louisette. Louisette c'est ma voisine qui en a vu bien d'autres dans la vie. Née en 42, elle a traversé le siècle et élevé «quatre enfants et leurs cohortes d'emmerdements ». Elle a de la ressource car malgré ses 82 ans, elle reçoit encore chaque été ses 10 petits-enfants, et ses «arrières» aussi. La veille justement, par-dessus le mur, à l'ombre des fleurs du bel arbre de Judée qu'elle a planté il y a quelques années, elle m'expliquait, «Ça me fatigue un peu maintenant ! L'été dernier, la dernière, celle qui est venue fin Aout, elle était enceinte jusqu'aux yeux ! Et bien, je sais que ça n'est pas très charitable, mais je priais le ciel pour qu'elle n'accouche pas à la maison...». Alors Louisette, c'est pas une pile de panier en plastique en train de rendre l'âme sous la pression du rideau qui va lui faire peur. Elle lâche son caddie rempli à ras bord en perspective des agapes familiales estivales, et va dégager les paniers coupables qui bloquent la fermeture. Le rideau patine avec un bruit pathétique. Sous la pression, il est sorti de son rail. Louisette s'y attelle et essaie de le faire rentrer dans le droit chemin. Catherine pressentant l'accident et le dimanche raté bondit de son siège. «Non madame Bonnot. Non ! N'y touchez pas ! C'est dangereux ». Juliette blêmit. Elle a compris. Elle réalise. Elle lâche l'interrupteur et passe du beige nude de son BB crème, au rouge écrevisse. «Ah mais non ! Pardon. Oh là là pardon ! Ça m'arrive tout le temps ! Des trucs comme ça ! Tout le temps ! C'est horrible ! » Dreadounet, qui ne se sent pas complètement innocent dans l'affaire, plonge derrière sa caisse pour s'occuper enfin de mes courses. «20 € 10». Quand je franchis la porte, Catherine, Louisette et Juliette font un état des lieux rapide des dégâts. Le rivet du rideau a explosé le rail. Il est bloqué-bloqué. Quid de la fermeture tranquille et de « tout le monde rentre chez soi bien gentiment ». Je les abandonne à leur malheur pour aller ranger mes courses dans la voiture. Je ferme le coffre et lève les yeux. Derrière le mur, dans un jardin attenant, les longues dreads vertes d'un grand saule alangui, flottent dans la brise de juillet.

La Drunkitude Début avril, fin de grippe. Pleine lune de printemps. La vase du port, redessinée par les vagues, scintille, graphique, dans les derniers rayons du jour. Il fait chaud, l'envie irrépressible de sortir emplit les quais. Un avant-goût d'été. Ça fait du bien, un bien fou. Nous avons rendez-vous avec des amis dans un petit bar rétro, musique live. Ils doivent nous rejoindre, on s'installe en terrasse. On, c'est mon mari et moi. C'est une soirée de rêve avec un petit air de juste parfait. On commande une bière, ça joue bien on dirait. Pas trop le temps d'écouter car l'homme à la table à côté me regarde. Je croise son regard, il me sourit. Je le connais, c'est sûr. C'est qui ? J'en ai pour la soirée à chercher. « Vous êtes de Pornichet ? » Je cherche, je cherche, je ne le remets pas. Damned. Mon mari répond « Oui, et vous ? » « Ben ouais, je reviens vivre ici. Je suis né ici et j'reviens vivre ici. Elle est pas belle la vie ! » En fait, je ne le connais pas. Il m'a juste regardé comme ça parce qu'il est complètement saoul. Le regard profond « In vino véritas ». « Je m'appelle Bob, et vous ?" Je le sens mal mais comme on est gentils, on dit nos prénoms. « En fait, Bob, ben c'est Robert ! Ça veut dire Robert, Bob ! » Je pense « Sans déconner... ! » mais je garde ça pour moi. Bourre et bourre et ratatam n'as pas d'humour, la vie m'a appris. « En fait bon...ben... c'est Robert... Bob ! C'est le diminutif américain de Robert. J'aime bien Bob. Mais j'aime pas trop Robert. Ça vous dérange pas si je viens un moment à votre table ». Le regard de mon mari croise le mien. Pas enthousiaste pour le moins. Il n'est ni agressif ni désagréable, il est juste bourré. Alors comme on est gentils et polis, on dit oui, ou plus exactement on ne dit pas non. Il bascule vers nous avec son verre et laisse son portefeuille et son portable sur la table où il était et il entre en matière, sérieux comme un pochetron. « Y a que l'amour ! C'est pas vrai ? Dans la vie... Ya que l'amour ! » Il reste en suspend, réfléchit une quinzaine de secondes un peu longuettes et il bascule brusquement vers la table où il était pour récupérer son portefeuille et son portable. Il revient vers nous avec une dextérité surprenante vu son état et plante son regard dans le mien. Soit je lui rappelle quelqu'un, soit il a un problème avec la gente féminine. « C'est quoi qui vous fait kiffer dans la vie ? » Il darde son regard dans le mien. Il fait son profond

Rêve de guerre - J'ai le vertige.  - Moi aussi, Marcel, j'ai le vertige, mais est-ce que j'en fait tout un plat ! Tu ne trouves pas ça beau,hein ? Ce port tentaculaire qui s’étale au milieu de la ville. Moi, ça me rend poète. Mais regarde ça ! C'est pas le plus bel endroit du coin pour regarder le feu d'artifice du 14 juillet ! Le port de Stettin s’étendait à leur pieds, les îles, l’entrelacs des canaux et, au loin, le lac qui, comme une grande mer intérieure rejoignaient l'Oder, Henri et Marcel dominaient tout. - Regarde, Marcel, regarde! Une nuée d'avions arrivait du Nord, voilant la lune et les étoiles, en rangs serrés, étrangement discrets compte tenu du nombre. Et eux, ils étaient là, en haut de la grue, aux premières loges.  - C'est pas mieux que les abris, dis...Ça a pas d' la gueule...  - Je ne sais pas. J' ferme les yeux. J'ai l' vertige.  Et ça avait commencé. Les avions lâchaient leurs gros œufs sur la ville. C'était régulier comme une partition de musique.  Ça tonnait, ça se rapprochait, mais Henri n'avait pas peur. C'était si beau, toutes ces lumières, un sacré spectacle ! Et Marcel qui fermait les yeux... Les avions arrivaient sur eux, ouvraient leurs ventres. Des torches de lumière, toujours plus de lumière et cette chaleur, cette fournaise tout autour. Merde, avait dit Henri, ils balancent des bombes au phosphore. La chaleur devenait difficilement soutenable. La grue protestait vibrait, refusait la morsure du feu. Elle se mit à ruer, à se cabrer. Henri et Marcel s'accrochaient Elle se disloquait, lançant vers les cieux ses bras incandescents. Henri les voyait passer autour de lui, frappant l'air avec désespoir. Ils allaient mourir, c'était certain. - Notre dernier feu d'artifice, tu te rends compte Marcel, Marcel!!! Marcel avait disparu précipité dans la fournaise. Pauvre Susie, quand elle saurait ça. Dans un dernier sursaut, la grue rendit l'âme et s'effondra avec des sifflements terribles, et puis plus rien, plus d'avion, juste des braises qui crépitaient horriblement, et de la ferraille tordue dans d'étranges postures, encore rougie par la chaleur des bombes. Henri avait été déposé sur le sol avec une lenteur irréelle par la poutre d'acier à laquelle il s'était cramponné. Il gisait là, paralysé, n'osant bouger. Au bout d'un moment il ouvrit les yeux. Il vit le serpent, tapi dans un nœud du bois, à l'affut du gnome, comme hier, comme avant hier et jusqu'à la fin de cette saleté de guerre. A moins qu'une bombe malencontreuse ne vienne tout réduire en poussière. Henri repris conscience doucement, une violente pluie d'orage s'abattait sur le toit de tôle et le tonnerre faisait vibrer les murs. La chaleur était insoutenable. Ils l'attendaient cette pluie, depuis si longtemps. Avec un peu de chance elle rafraichirait l'air et rendrait supportable la chaleur dans l'usine.

La dame d'à coté est en danger Je jardine et ça râle chez mes voisins, les Perrin. Depuis quelque temps ça va mal. Je l'entends qui crie, la voix pâteuse. Salope. Grosse vache. Il est quatorze heure. Il a bu ce midi. Madame Perrin, c'est Caroline, la voisine. Ça va ? Ça va bien Caroline, et vous ? Les enfants ça va ? Elle donne le change. Elle donne toujours le change. Tu me dégoûtes. Grosse truie. Elle enchaine comme de rien. Votre fils, l'ainé, ça va ? il est toujours à Paris ? Il fait quoi comme études déjà ? Sciences Po. Oui, il est toujours à Paris. Vous êtes sûre que ça va Madame Perrin ? Oui, oui, merci. Mais il faut que j'y aille, j'ai du linge à étendre. Tu vas où comme ça en te dandinant. Non mais regarde ton cul, il me dégoûte ton gros cul. Chez les Perrin, c'est lui qui étend le linge. Depuis des années, c'est lui qui fait tout, le jardin, la lessive, la cuisine, les courses. Elle, avec son déambulateur, elle ne va nulle part. Elle sort juste sur le pas de la porte, quelquefois. Quand ils sont arrivés, il était charmant, franc du collier, toujours à rendre service, à vous emmener chercher de la terre là où elle est la meilleure, là où les vaches viennent boire, à partager avec vous ses coins secrets pour les mûres ou les champignons. On s'invitait pour l'apéro de temps en temps. J'aimais bien discuter avec lui, et lui, il aimait bien se raconter. Il a eu une vie professionnelle remarquable. Il était maquignon. Il a commencé jeune. Il a passé sa vie sur les routes pour aller acheter des bêtes. Il aimait se raconter, avant l'alcool. « Levé avant l'aube et couché avant l'aube ! Mes gars ! Ils auraient traversé la France pour moi, et moi pour eux, aussi ! Faut pas croire... Je suis allé en dépanner plus d'un en pleine nuit au fin fond de la campagne. J'en ai jamais laissé un dans la mouise. » Ses clients aussi le portaient aux nues. Il les chouchoutaient, tout comme il nous chouchoutait, nous aussi, ses voisins, avant l'alcool. Il s'y connaissait en bêtes, il choisissait les meilleures et les négociait bien. Il tenait à coup de paquets de clopes et de godets de café. Un cow-boy du Vignoble Nantais. Ses parents l'avaient mis en pension à douze ans. «Ils étaient durs mes parents, très durs. » Comme il était malin, dès qu'il pouvait, il faisait le mur du pensionnat pour aller rendre des services dans les fermes le soir, les week end et pendant les vacances aussi. «C'est comme ça que j'ai appris le métier, au petit bonheur. » A quinze ans, il travaillait. Il n'avait pas le permis, mais il conduisait déjà des camions remplis de bestiaux. «C'est mes parents qui ont arrangé le mariage. J'avais 19 ans .» C'est une autre qu'il aimait, mais c'est elle qu'il a épousée. Elle était riche comme on est riche en campagne, beaucoup de terre et un peu de biens. Il m'a montré des photos de son mariage. Il était beau à couper le souffle. Elle, jolie. C'était comme ça à l'époque. Un bon parti, une belle alliance, il s'est fait une raison, il l'a épousée. Ses parents les ont installés. Ils leur ont acheté une petite ferme, des bêtes et une bétaillère. Naïve et romantique, elle était heureuse. A peine mariés, il était déjà sur les routes, de jour et de nuit. Très vite il a compris que dans sa tête à elle, quelque chose n'allait pas. Les affaires marchaient bien, il a pu acheter une deuxième bétaillères, puis trois. «J'ai embauché des gars. Tous les éleveurs du vignoble me connaissaient. » Dès le début ça n'a pas collé. Elle était engluée dans les préjugés, tétanisée par le qu'en-dira-t-on. Il fallait donner le change, quoi qu'il en coûte. «C'était son caractère ! Ça tournait pas rond, je te dis. Dès le début. C'est pour ça que le mariage il a pas traîné ! Des fois que je me rende compte ! Tu l'aurais vu ! Elle était fière! La femme de M.Perrin ! Tu parles ! Tout dans l'apparence ! Fallait jouer aux bourgeois, recevoir, mener grand train ! Comme si tout le monde voyait pas qu'il y avait de la bouse dans la cour, chez nous autres comme ailleurs !» Alors il fuyait sur les routes. Il allait jusqu'à Lille chercher des bêtes. En Belgique même, parfois. Les commandes affluaient. C'est une crise cardiaque qui le calme, une grosse. Il aurait pu y rester. C'est sa femme qui le sauve. Elle aime le raconter, fière. « Il est devenu blanc, blanc comme un linge, et il s'est effondré, d'un coup, comme ça, par terre. Ça m'a fichu un coup, dame ça oui !  Alors, je ne sais pas pourquoi, mais je lui ai levé les jambes en l'air contre le bord de la cheminée. J'ai appelé les secours et je lui ai donné des claques en attendant ». Elle rit. « Pour le faire revenir ! Quand les pompiers sont arrivés, ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient rien dire sur son état, mais que s'il s'en sortait, ça serait grâce à moi. Ça m'est venu comme ça, les jambes en l'air et le reste. J'ai pas réfléchi. J'ai fait. C'est tout.» Il opine, reconnaissant. «C'est vrai, je me souviens de tout. J'étais conscient. Je voyais tout, j'entendais tout, mais j'arrivais pas à parler. Triple pontage. J'étais usé.» Il fait une deuxième crise cardiaque, puis une troisième. Plus de commandes, plus de bétaillères, plus de cafés et de paquets de Gauloises.Tout s'arrête en vol. Il cède la ferme à son fils, mais celui-ci fait faillite. «Toute une vie de travail fichue en l'air en moins de trois ans. Il s'est pris pour un américain, tu comprends ! La folie des grandeurs ! Fallait tout rénover, transformer. Il a racheté des camions, emprunté. Il a tout hypothéqué. J'ai tout perdu. Je lui avais dit pourtant de pas emprunter. il m'a pas écouté.Toute une vie de travail ! » Ils se font construire une maison avec son argent à elle, sur une parcelle à elle. Nos jardinets sont mitoyens. Quand je suis dehors, j'entends tout. C'est comme ça que je les ai connus, des voisins en or. C'est vrai qu'elle, elle est particulière. Elle verrouille. Elle souffre d'une maladie invalidante, mais il ne faut pas le dire, il ne faut pas que ça se sache, tout va très bien, toujours. Sauver les apparences. Il assure. Il s'occupe de tout. «J'en peut plus. Elle fait rien. C'est pas une vie ! » Elle ne peut rien faire. Elle tombe. Ça fait vingt ans qu'elle tombe. «De tout son long ! Elle s'étale, elle se retiens même pas ! Elle part en arrière et elle se retrouve sur le carreau. Je peux pas être derrière elle tout le temps ! Je suis usé ! ». Elle est solide, jamais de fracture, juste des points de suture. Lors d'une fête de quartier, il tombe amoureux d'une voisine. «Tu vois, avec elle, je reprends goût. Elle a de la conversation, tu comprends. Elle me conseille des livres. On discute.C'est intéressant. C'est pas comme avec ma femme, elle a pas de conversation ma femme. » Il n'a pas fait d'étude alors il est heureux quand il lui parle. Un autre monde. Plus riche, plus vaste. «Le problème tu vois, c'est que maintenant ma femme, elle m'énerve ! C'est fou comme elle m'énerve. C'est pas de sa faute, elle est malade. Mais même si je sais que c'est dans sa tête que ça tourne pas rond et qu'elle est pas bien, elle m'énerve. Je suis coincé ! Je peux pas la quitter, elle est malade. » La voisine ne comprend pas. Il reste par loyauté mais elle, elle s'en fout du preux chevalier, elle veut l'homme. Il l'écoute mais tient bon. Il reste. La voisine insiste, bataille, tempête. «C'est simple à comprendre quand même, non ? J'peux pas la laisser ! Elle est malade ! Mais l'autre, elle comprend pas ça. Elle veut que j'quitte ma femme. Moi, c'est pas que je voudrais pas, mais je peux pas. On pourrait juste continuer comme ça. On est pas si mal ! » La voisine manque de discrétion, elle parle, se répand. Elle veut que ça se sache et ça finit par se savoir. Mme Perrin l'apprend. Scandales, cris. La voisine insiste mais comme il ne lâche rien, elle le quitte, déménage. C'est à sa femme qu'il en veut. Elle n'y est pour rien mais il lui en veut. C'est plus fort que lui. Il fait un AVC, puis un deuxième. Aux médicaments pour le cœur s'ajoutent d'autres médicaments. Il les prend comme ils viennent, dans le désordre des heures et des journées. Les pompiers viennent de plus en plus souvent parce que lui aussi, maintenant, il tombe. Il tombe parce qu'il arrose ses médicaments avec du rosé. De plus en plus de bouteilles de rosé. Il se noie dans le rosé. Tu m'as toujours pourri la vie, salope ! Tu bouffes comme une truie ! T'as vu combien tu pèses ! Baleine ! Madame Perrin, c'est moi, Caroline, la voisine, ça va ? Mais oui, très bien. Ça va très bien. Silence. J'entends le déambulateur qui brasse le gravier, et puis Mme Perrin qui siffle entre ses dents, juste avant que la porte ne se referme. Non mais, de quoi je me mêle ! Elle commence à m'énerver celle-là !

Le Roi Bressuire Je m'appelle Bernard. Je m'appelle Bernard et je vous vois. Vous pensez que je ne remarque pas vos regards et vos sourires narquois mais vous vous trompez. Je ne veux ni de vos moqueries ni de votre pitié. Je suis un roi qui avance au cœur du martyr de sa vie. Je suis Bressuire. Je suis le roi Bressuire. Je suis sa mère, Marie-Lucie. J'ai traversé la vie comme j'ai pu. J'ai avancé chaotiquement. Quel choix a-t-on dans la disgrâce ?  Je suis un adjectif. Je suis Petit. Le petit Bernard, le Petit Bressuire. Tellement petit que j'ai glissé du train. Par le trou des toilettes, j'ai glissé des WC. C'est l'histoire que les autres enfants me jettent à la tête depuis mon enfance. Ma mère ne m'a jamais rien caché, elle m'a raconté sa version à elle, simplement, sans méchanceté. C'est le chef de gare qui m'a trouvé sur les voies et qui m'a confié à la maréchaussée en la personne du gendarme Souriceau. Je ne sais pas comment il l'a retrouvée mais c'est lui qui m'a rendu à ma mère. Pendant quelques jours je suis resté Le Petit, en équilibre entre le monde de l'innommable et celui du possible. Puis quelqu'un s'est décidé et m'a donné le nom d'un oncle, Bernard, mort en 17, sans médaille, au printemps, dans l'offensive du chemin des dames. Quand ils me l'ont ramené, petit, fragile, la honte est devenue ma couleur, mon identité, mon unique nuance. Comme je ne voulais pas me noyer dans cette honte, me ratatiner jusqu'à disparaître, j'ai cherché un moyen pour survivre et je me suis mise à regarder les détails, la beauté des détails. Je me souviens de la première fois. Juste après avoir allumé le poêle, installée devant un bol de café, je me suis mise à regarder les gouttes de rosée qui brillaient sur une toile d'araignée au petit matin. Cette même journée, je me suis attardée sur les branches noires de l'arbre qui se dessinent sur le ciel embrasé du couchant en écoutant la musique du vent qui court sur le marais. Depuis le jour où ils me l'avaient ramené, je n'avais pas regardé autour de moi, pas vraiment. Un matin, je suivais le vol d'une hirondelle, son va et vient dans la cours de la ferme et le piaillement de ses petits dans le nid sous le porche et je l'ai entendu babiller, lui aussi, comme s'il leur répondait. J'ai baissé la tête et je l'ai observé. Son petit nez, ses petites mains, ses petits pieds et le grain si fin de sa peau. Il me regardait. Je l'ai regardé me regarder et ça s'est ouvert. Là, au milieu de moi. C'est à ce moment là que j'ai recommencé à sourire. Doucement au début et puis beaucoup, tout le temps. Je souris à tout et à tous. Le sourire me rend acceptable, c'est ma résistance. Sur mon passage on chuchote, « elle sourit tout le temps la pauvrette, elle est devenue simplette ». Je préfère simplette à fille perdue. On m'a baptisé petitement, subrepticement. Le discrédit colorait mes habits de baptême. Aucune joie dans l'église ce jour-là. Que de l'embarras. J'ai grandi, Petit, sans bruit. En fin d'adolescence, pour stopper ma croissance j'ai fabriqué une bosse et j'y ai fourré tout le merdier de ma vie, de ma courte vie. Et mes derniers centimètres, aussi. Je chemine Petit. Le Petit bossu. Nous étions huit filles, le désespoir de mon père. Nous habitions dans une bourine du Marais Breton. Nous étions pauvres et dès nos quatorze ans, on nous plaçait les unes après les autres dans des grosses fermes. Ça faisait des petits sous qui rentraient, et autant de bouches à nourrir en moins. Les deux ainées n'étaient pas placées, elles aidaient à la maison. Nous possédions deux champs, un potager, une petite basse-cour, quelques lapins et cinq chèvres dont on tirait un peu de fromage. Je suis partie dans les deux sèvres à côté de Partenay, une grosse exploitation. C'est une cousine qui m'a fait entrer. Elle connaissait quelqu'un qui travaillait là-bas. Il fallait traire les vaches, nourrir les cochons, les poules, passer la charrue, semer, nettoyer les étables. Il fallait du courage. Quand le gendarme m'a ramené, ma mère m'a repris sans un mot. Malmenée par les vents contraires, elle m'a élevé, gentiment, sans jamais se plaindre. Ils étaient trois, ils m'ont forcée, dans la grange, ils m'ont souillée, tous les trois. C'était pendant les foins, il y avait du monde tout autour. Je ne peux pas croire que personne n'ait entendu, que personne n'ait vu. Ce que je sais, c'est que personne n'a rien fait. Je me débattais, je criais, je pleurais et eux, ils riaient, ils chahutaient, ils beuglaient en gros porcs qu'ils étaient. J'ai du mal à croire que personne n'ait rien vu, rien entendu. En tous cas, personne n'est venu. L'honneur perdu d'une fille de ferme qu'est-ce que ça vaut ? Ça ne vaut rien. Rien. J'ai caché ça aussi longtemps que possible. Je travaillais comme une chienne en espérant secrètement que le bébé finirait par tomber. La fermière m'a chassée quand elle a compris, et je suis rentrée. D'après mes calculs, je n'étais pas loin du terme. A la maison, ils m'appelaient le Petit, parfois le Petiot. Je n'ai pas manqué d'amour, jamais. Ma mère, les grands parents et les tantes avaient toujours un mot gentil, un sourire, une petite bêtise à me dire. Quand ils me l'ont ramené, je n'ai rien dit, je n'ai pas pu raconter. Trop de honte. Ça n'était pourtant pas ma faute tout ça. J'aurais bien aimé parler à ma mère ou à mes sœurs mais ça ne voulait pas. Ça ne sortait pas Le plus dur c'était à l'extérieur, les quolibets, les moqueries. Il fallait passer outre, rester sourde et sourire, au Petit, à la famille, à la paroisse, à la terre entière. Sourire pour effacer tout ce mal qui ne pouvait être défait. Sourire pour faire taire la honte, la colère.  A la ferme je voyais les bête mettre bas. Le cycle de la vie dans une ferme, c'est naturel. Avec les bribes de ce que je savais, je me faisais mon histoire. Je l'imaginais, dans le train. Mille nuits je l'ai rêvée, encore et encore. Je la vois, je vois sa pâleur. Je sens sa peur, sa solitude, son désespoir quand son ventre commence à se tordre. Elle est assise dans ce train du retour, elle ne peut pas attendre. Je sens ses eaux qui coulent sur mes jambes. Je la suis dans sa progression chancelante vers les toilettes où elle s'engouffre, vérifiant plusieurs fois le loquet. Je sens son ventre se déchirer et je la vois frapper les parois en fer avec ses poings pour calmer la douleur. Pour ne pas hurler, elle serre les mâchoires à s'en faire éclater la tête. Je perçois le goût du sang dans sa bouche. Le bruit du train lui vrille la tête. Un changement de voie la précipite contre la parois. Elle tombe, se relève. Quelqu'un frappe, une fois, deux fois, s'en va. Elle a peur, elle se reprend. Elle doit... Il faut que je sorte de son ventre avant qu'on la surprenne... Vite. A chaque fois, à ce moment précis de mon rêve, le bruit strident des freins accompagne mon arrivée et j'apparais entre ses jambes. Le silence soudain de l'arrêt en gare me réveille et je pousse un cri terrible, le cris qu'elle retient dans sa gorge, et, tremblant dans la nuit, je ne suis plus que questions sans réponses. Quand elle m'accueille dans ses mains, pleure-t-elle ? Dans le petit espace de fer et de bois où elle reprend péniblement ses esprits, à quoi pense-t-elle ? Quand elle déverrouille le loquet et qu'elle sort de cet abris de douleur, est-ce qu'elle a peur ? Que ressent-elle quand elle ouvre la porte, du côté des voies, pour me déposer sur les rails ? A-t-elle l'espoir d'un avenir meilleur pour nous deux ou est-elle juste poussée par un désespoir sans limites, sans logique et sans raison ? Je les entends qui disent, «ta pute de mère, Bressuire ! Elle t'a lâché par le trou des chiottes! C'est ça qu'elle a fait, hein ! C'est ça, hein!». Mais qu'est-ce qu'ils en savent ! C'est sur les rails, à la gare de Bressuire que le cheminot m'a recueilli ce jour-là. Il devait faire froid car elle m'avait emmailloté dans son châle en laine. Ce que je n'arrive pas à imaginer, c'est comment elle a fait pour continuer le voyage, comment elle a fait pour rentrer, comment elle a fait pour survivre. Ils disent, « c'est par le trou! Par le trou des chiottes ! ». Les imbéciles ! Que connaissent ils de l'amour, tous ces biens nés ? Que connaissent ils du vrai amour ? Ils croient peut-être que dans leur famille toute lisse, il n'y a pas de cadavres dans les placards et de sales petits secrets sous les tapis ! Je suis la croix qu'elle porte en pleine lumière, Je suis son Petit. Elle m'a repris sans sourciller et elle m'a aimé malgré la disgrâce. Je me souviens de la première fois où j'ai vu Jean. C'était pendant la procession du quinze août, il portait la madone. Il n'était pas ce qu'on peut appeler un beau gars, mais on s'est regardés, et on s'est plût. Un jour d'orage nous nous sommes retrouvés sous le grand saule pleureur à coté de l'église. Les gens couraient se mettre à l'abri mais nous, nous restions là, sous les branches, cachés des regards. Il m'a dit : "Je m'appelle Jean ". La pluie traversait les feuilles vert tendres. Des gouttes énormes se faufilaient entre les branches et s'écrasaient au petit bonheur la chance sur nos épaules, sur nos fronts, sur nos joues, sur nos lèvres. Nous, nous restions là, à nous parler tranquillement de tout et de rien. J'étais trempée depuis un bon moment quand je lui ai dit au détour d'un rire , «j'ai un petit gars de trois ans. Il n'a pas de père ». J'ai ajouté, «il n'en n'a jamais eu». C'est venu comme ça, comme une évidence. Lui, il a répondu, «ah, d'accord. C'est bien», tout simplement. L'automne suivant on se mariait. J'ai eu de la chance, tellement de chance. C'était papa. Mon papa. Papa Jean. Ils pouvaient bien m'appeler Bâtard, fils de chienne ou Bressuire, tous, moi je m'en fichais, j'avais mon papa. Lui, il m'appelait « Petit » ou « Mon Petit », comme tout le monde chez nous, rarement Bernard. On est allé habiter dans sa fermette familiale, dans le marais avec sa mère. Il était gentil avec nous et avec tout le monde. Jamais un mot plus haut que l'autre. La mère de Jean avait rêvé mieux. Rêvé d'un beau mariage où l'on aurait invité les amis, les voisins. Je l'ai compris dès le premier regard qu'elle a porté sur nous. On s'est mariés en petit comité. Nous n'allions tout de même pas inviter toutes les langues qui sifflaient dès que nous avions le dos tourné. La vie a repris. Sa mère et moi, ça s'est arrangé. Je l'ai apprivoisée avec mes sourires, ça n'était pas une mauvaise femme. Jean travaillait chez Gitane, en plus de la ferme. Ses collègues l'aimaient bien. Ils venaient parfois le Dimanche. Quand j'ai eu dix ans, ils m'ont mis au pensionnat. Ils ont sacrifié leurs économies pour que je puisse y aller. Le Jean disait, « c'est important une bonne éducation », et ma mère souriait, heureuse. J'y suis resté un an. Les gamins sont cruels, les curés aussi. Alors entre les classes, à midi, le soir, je me réfugiais dans la salle où se trouvait la bibliothèque, une grande armoire remplie de livres divers. Je me cachais dans le petit coin situé entre le mur et l'armoire et, invisible, je lisais. Je dévorais tout, Jules Vernes, Chateaubriand, Maupassant, Balzac, Victor Hugo, le dictionnaire Larousse et l'encyclopédie universelle, tout. J'aimais particulièrement « L'homme qui rit », je m'identifiais à lui. Je voyageais entre les pages du Lagarde et Michard, j'apprenais par cœur des poèmes. On n'a jamais eu d'enfant Jean et moi. Je ne sais pas si ça le contrariait. Sa mère en parlait parfois, sans conviction. Il disait, « ça viendra si ça doit », et il me souriait gentiment. Nous savions tous que quelque chose s'était arrêté à Bressuire. Le Petit le savait aussi. On a bien vécu, c'est sûr, on s'entendait bien. On gagnait bien avec la ferme et le travail de Jean chez Gitane. Il y avait bien encore quelques jaloux qui jasaient, mais nous, on s'en fichait pas mal. J'ai quitté l'école, trop de méchanceté. Le directeur a bien essayé de me retenir, mais j'ai refusé. Je me suis mis à aider dans les fermes et quand j'ai eu l'âge, une tante qui travaillait à la mairie, m'a fait entrer comme cantonnier. Ça m'allait bien, une vie de plein air, du temps pour regarder, musarder, personne sur le dos. C'est fou ce qu'on trouve dans les fossés. J'avais acheté un petit carnet pour y noter tout ce que je ramassais. Je notais le lieu, la date et l'objet. La première ligne du carnet est la suivante : 12 Mars 1962 : Ecuelle en fer blanc, Allée des platanes coté nord. Après il y a eu beaucoup d'autres choses. C'est poétique les objets, pour qui sait observer, même cassés. Je trouvais des choses très variées, par exemple : - Fourchette – manque une dent-. - Grosse cuillère. - Vieux soulier - jamais la paire-. - Roue d'automobile - parfait état -. - Cruche cassée - très jolie, non réparable -. - Sangle de cuir - sous ventrière surement -. - Pioche oubliée - parfait état -. - Bout de lavabo. - Porte monnaie contenant cent francs en pièces - rapporté à la mairie, jamais réclamé -. - Bout de corde . - Planche pourrie. - Ningle cassée. (1) - Petit portrait de jeune fille partiellement effacé - je l'ai gardé -. - Truelle. - Pièce ancienne - rare, parfait pour ma collection - . Vingt pages de carnets avec les dates pour chaque objet ! La dernière ligne inscrite sur mon carnet est : 10 Juillet 1966 : Cuillère à soupe argentée - très bon état- . Ensuite ça s'arrête. Ensuite tout s'est arrêté. Nous avons vécu de belles années le Jean et moi. Nous étions heureux, à notre façon. J'avais tourné une page. De temps en temps, nous partions une journée à la campagne ou à la mer par le train ou l'autocar. Le Petit nous accompagnait parfois. Nous avions prévu d'aller passer deux jours à Paris pour nos noces de cristal. C'est moi qui l'ai trouvé, en rentrant du travail. Il était là, à plat ventre, la tête dans la vase de l'étier au milieu des iris jaunes, sous le Pont de la Gravelle, un si joli pont en pierre. J'ai d'abord reconnu ses godillots, ensuite sa veste. A côté de lui, son portefeuille, vide. C'était un vendredi soir, jour de paye chez Gitane. J'avais un peu traîné dans le bourg, il faisait beau. J'étais passé au café pour voir s'il y était encore, personne. On rentrait ensemble parfois, lui et moi. Ils ont dû le suivre et ils l'ont assommé le moment propice. Il avait une grande balafre à l'arrière du crâne. Je suis resté là un long moment, les bras ballants avec des larmes qui me coulaient, lourdes, sur les joues. L'eau était rose du sang qui dégoulinait de sa blessure. C'était étrangement beau sous le ciel embrasé par le soleil couchant. Il n'y avait plus rien à faire, alors je l'ai tiré de l'eau et je me suis collé à lui pour sangloter. Quand j'ai vu le Petit au bout du champ, j'ai tout de suite compris. Quelque chose dans sa démarche. Le malheur force son chemin dans les corps, s'imprime dans les traits des visages. Le Petit est reparti prévenir les gendarmes. On a installé mon Jean dans notre chambre sur le lit pour le veiller. Je savais bien que la chance ne passerai pas une deuxième fois, alors j'ai décroché mon sourire. On a survécu comme on a pu dans les jours qui ont suivi. Le Petit pense que non, mais peut-être est-ce un homme seul qui a fait le coup. Les gendarmes ont cherché des indices, interrogé des tas de gens dans le bourg et quinze jours plus tard ils sont venus à la ferme pour nous dire qu'ils n'avaient rien trouvé, aucun témoignage susceptible de faire avancer l'affaire. Ils continueraient à chercher mais ils n'avaient pas beaucoup d'espoir. La nuit qui a suivi la venue des gendarmes, j'ai beaucoup pleuré parce que j'ai compris que cette affaire, elle resterait sans suite. Au premier chant du coq, j'ai mis ma robe de bal, celle que le Jean aimait tant et je suis allée me pendre dans la grange. J'ai enterré ma mère dans le carré des suicidés. Ensuite c'est ma grand-mère qui s'est laissée mourir et je l'ai enterrée à coté de papa Jean dans la tombe familiale. J'ai vendu la ferme. Trop de souvenirs. J'ai pris une maison de bourg avec un petit jardin clos. Je n'ai plus jamais rien écrit sur mon carnet. Aujourd'hui sur mon blason , s'affiche un titre supplémentaire. En plus de Bressuire, Bâtard et Bossu, je suis devenu Vieux Gars, le Vieux Gars Bressuire. Qui aurait voulu de moi avec ma bosse et le poids de ma vie. Parfois sur le bord d'une route ou dans un café, je croise, d'aventure, un inconnu qui a quelques heures à passer et je lui raconte. Je dépose mon histoire sur son chemin pour qu'il l'emmène ailleurs, bien loin et qu'il raconte chez lui l'histoire du Roi Bressuire. (1)Ningle : perche avec laquelle on franchit les étiers ( Chenaux qui régulent l'eau dans les marais)

Faute avouée Quand on demandait à Jacek pourquoi il portait en permanence autour du ventre une médaille, il répondait invariablement : Médaille bienheureux Saint Sratch très bon pour problème ventre. Ça les faisait marrer, tous. C'était leur petite madeleine de Proust. Ça rendait supportable les douches glacées de l'hiver 1939 et la médaille de Jacek était devenue la blague favorite de la chambrée. Vous rigole, vous rigole mais rien plus vrai que Saint Sratch. Grand martyr de Woutch sur Visna . Au bout de quelques semaines passées au camp d'entraînement du deuxième régiment d'infanterie de Digoin, certains appelés constatèrent que l'eau du camp, bien que pure et de qualité gustative satisfaisante, constipait. Jacek paradait avec sa médaille et disait à qui voulait l'entendre : Moi pas problème, Saint Sratch protège moi. Son ami Henri, qui n'avait pas été le dernier à se gausser, était bien embêté. Depuis une dizaine de jours le mal l'avait saisi et la situation de ses intestins s'enlisait. Ça lui faisait penser à la guerre dans laquelle ils étaient engagés depuis début 39 : rien ne se produisait. Les sanitaires étaient installés dans une bâtisse sommaire, les parois en planches disjointes laissaient passer les courants d'air et cela ne lui facilitait pas la tâche. Après une soirée par moins cinq degrés, particulièrement longue et infructueuse, sur le trône du lieu d'aisance, il avait décidé de mettre sa fierté dans sa poche avec le carré de papier journal inutilisé par-dessus, et s'en était allé trouver Jacek. Dis-donc... Heu... Jacek.... Ta médaille....Tu me la prêterais pas des fois ? Jacek qui était un bon gars et pas rancunier pour un sous, lui avait dit oui. Tu attaches avec ruban autour de taille et tu fais prière ! Très important prière. Tu dis, Grand Saint Sratch, écoute mon prière qui vers toi se lève. Grand Sratch, dans ta clémence, apaise mon boyau. Ça l'avait fait marrer Henri- intérieurement pour pas vexer Jacek- mais ça l'avait fait marrer. C'est pas compliqué, et puis si ça fait pas de bien, ça peut pas faire de mal, s'était-il dit. Il avait mené l'opération de nuit, pour ne pas se faire remarquer. La prière avait résonné étrangement dans le silence de de la bâtisse. Puis le miracle de Saint Sratch avait eu lieu. Malheureusement, sous la pression de ses abdominaux, le nœud du ruban lâcha et avant qu'Henri ait le temps de réagir, tout le saint frusquain avait disparu dans le trou. Henri s'était longtemps questionné sur la façon dont il allait annoncer ça à Jacek. Certes, Jacek n'était pas méchant mais sa médaille sacrée dans la bassine d'aisance, ça n'était pas rien. Et puis, il y avait les autres. Déjà qu'ils se foutaient de lui à cause de sa médaille et de son accent... Avec cette histoire, ils allaient se tordre ! Et ça, Henri voulait l'éviter à tout prix. Il avait donc décidé de le réveiller immédiatement : Jacek … Jacek … Faut que je te dise. Ta médaille... Il avait profité de l'obscurité de la nuit pour ajouter quelques trémolos pathétiques dans sa voix, et comme un peu de lyrisme ne nuit jamais dans ce type d’aveux, il avait enchaîné en geignant légèrement : Ta belle et précieuse médaille... Celle du Grand et vénéré Saint Sratch - trémolos - eh bien... Eh bien... Je l'avais mal nouée... Et elle... Elle... Elle – retré-molos – Enfin, le noeud a lâché... Alors, j'ai bien essayé de la rattraper, mais ... Fichus waters... J'ai rien pu faire...Elle est tombée dans la bassine à merde ! Jacek l'avait regardé un petit moment, le temps, sans doute, de se réveiller, et il avait dit : Mais ça a marché, ou ça a pas ? Ça a drôlement bien marché ! Formidable ton Saint Sratch ! Eh bien c'est ça qui compte ! C'est pas premiere fois il tombe dans le trou, tu sais ! Demain et toute la semaine , je suis corvée chiotte, alors, tu viens avec moi, et on trouve Saint Sratch. Juste je demande à toi, Henri, une chose. Tu dis à tous comment grand Saint Sratch il marche bien comme ça les autres ils arrêtent de rire . D'accord ? Henri avait acquiescé avec enthousiasme, heureux de s'en tirer à si bon compte. Et puis, il méritait bien ça, Jacek. Le jour suivant, ils étaient allés épandre les bassines dans le champ prévu à cet effet. Ils avaient remué la merde fumante avec des bâtons pendant plusieurs minutes et c'est en soulevant un morceau de page souillée de La Bourgogne Républicaine, qu'ils avaient retrouvé Saint Sratch. Son visage, extrêmement délicat, se détachait sur la boue puante et semblait regarder le ciel. Avant d'aller le décrotter au lavabo, Jacek avait insisté pour qu'ils fassent un rituel. Très important rituel ! I Ils avaient psalmodié une prière Slave, et, au milieu des champs et des arbres dépouillés par l'hiver, sous le ciel embrasé de Digoin, à la tombée du jour, celle-ci résonna comme une étrange chanson païenne.

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